HISTOIRE - THEME 3
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HISTOIRE - THEME 3
H 2 – L’invention de la citoyenneté dans le monde antique : Athènes du Ve au IVe siècles et Rome du Ier au IIIe siècles. ETUDE DU SUJET : Bornes chronologiques : « antique » : Antiquité, -3000 à 476 ; Ve-IVe démocratie à Athènes ; Ier au IIIe période l’empire, deux époques différentes, deux systèmes politiques différents Bornes spatiales : « Monde » : ensemble de la planète ; « Athènes » 1 cité grecque berceau de la démocratie ; « Rome » : capitale de l’empire romain, deux lieux différents, deux systèmes politiques différents Mots clés : « Invention » : découverte, mise au point « Citoyenneté » : droit de cité, statut du citoyen, droits et devoirs Liens logiques : « : » = exemples choisis, pourquoi ces exemples ? … « Athènes » et « Rome » : relation, comparaison… Problématiques : Comment fonctionnent les citoyennetés athénienne et romaine ? En quoi leur comparaison permet-elle de comprendre l’évolution du statut de citoyen ? I. Que signifie être citoyen à Athènes et à Rome ? A. La définition du citoyen. B. Les droits et les devoirs du citoyen. C. La situation des non-citoyens. II. Quel est le rôle politique du citoyen, à Athènes et à Rome ? A. A Athènes, les citoyens gouvernent. B. A Rome, des citoyens privés de pouvoir par l’empereur. III. Des conceptions différentes de la citoyenneté ? A. Athènes, une vision idéale. B. A Rome, un outil de paix. C. Un point commun : l’atout de la richesse. NOTIONS A CONNAITRE : Ephébie ; Isonomie ; Liturgie ; Atimie ; Ostracisme Métèque ; Monarchie ; Oligarchie ; Misthos ; Sophiste ; Démagogue Droit romain ; Droit latin ; Pérégrin ; COMPETENCES ETUDIEES : - Etude d’un sujet pour établir une problématique ; Présenter un document ; Répondre à une question portant sur un ou plusieurs documents ; Rédiger un paragraphe argumenté ; Prendre des notes ; Apprendre son cours. DEVOIR BILAN : - Explication de documents. - 1/8 - Cursus honorum ; Honestiores ; Humiliores ; Evergétisme ; Ordre équestre ; Ordre sénatorial. De l’Antiquité, de nombreux régimes politiques se succèdent donnant des rôles variés aux citoyens. Parmi eux, la démocratie athénienne, du Ve au IVe siècles avant Jésus-Christ, et l’Empire romain, du Ier au IIIe siècles après Jésus-Christ, offrent des visions très différentes de la citoyenneté. Comment fonctionnent les citoyennetés athénienne et romaine ? En quoi leur comparaison permet-elle de comprendre l’évolution du statut de citoyen ? Après avoir déterminé qui est citoyen à Athènes au Ve et IVe siècles et à Rome du Ier au IIIe siècles après Jésus-Christ, nous montrerons que l’exercice de la citoyenneté ne s’effectue pas de la même façon dans les deux Etats. Enfin, nous verrons que cette différence s’explique par des conceptions distinctes de la citoyenneté. I. Que signifie être citoyen à Athènes et à Rome ? A Athènes comme dans l’Empire romain, la citoyenneté n’est accessible qu’à certains. Elle est dans les deux cas à l’origine de droits et de devoirs auxquels les non-citoyens n’ont pas accès. A. La définition du citoyen. Dans la cité athénienne, les critères pour devenir citoyen évoluent au cours du temps pour devenir de plus en plus restrictifs. En 508, Clisthène décide que le citoyen doit être un homme libre de plus de 18 ans, de père citoyen et inscrit sur les listes de son dème. Dès lors, tout citoyen dispose d’un nom tripartite avec son nom personnel, celui de son père et celui de son dème. A partir de 451 et de la loi de Périclès, le citoyen doit, en plus, être fils d’une mère, elle-même fille de citoyen. Si le futur citoyen répond à tous ces critères, il doit suivre l’immigration pour devenir définitivement citoyen. Lors de la première année de ce service militaire obligatoire, le futur citoyen reçoit une formation militaire de base qui lui sera utile pour exercer un de ses devoirs essentiels, celui de défendre la cité. Lors de la seconde année, les éphèbes se déplacent de garnison en garnison à l’intérieur de l’Attique afin de découvrir l’ensemble de la cité qu’ils vont défendre et diriger par la suite. Donc à 20 ans, s’il a rempli tous les critères nécessaires, l’éphèbe devient enfin citoyen et va pouvoir bénéficier des droits et devoirs du citoyen. La citoyenneté romaine s’acquiert d’abord par la naissance. Comme Athènes, un enfant mâle, fils d’un citoyen, devient citoyen dans sa 17e année si son père le reconnaît ou si sa mère, fille de citoyen, n’est pas mariée. Il peut alors porter la toge et les tria nomina (prénom, nom et surnom), symbole de citoyenneté. A partir de Hadrien (117-138), cette transmission par la naissance s’étend aux enfants de fille de citoyen même si leur père n’est pas citoyen. Mais, à la différence de ce qu’il se passe dans la cité grecque, il existe d’autres voies pour devenir citoyen. Le droit de cité est octroyé aux étrangers libres dans plusieurs circonstances. C’est le cas pour les hommes qui ont servi 25 ans ou ayant accompli des faits d’armes exceptionnels dans les troupes auxiliaires de l’armée romaine. C’est le cas également pour les magistrats des cités de droit latin lorsqu’ils ont fini d’exercer leur magistrature. Il s’agit cependant d’un droit de cité limité puisqu’ils ne peuvent accéder aux magistratures romaines ou au Sénat. L’empereur dispose par ailleurs du pouvoir d’accorder la citoyenneté complète à des étrangers (pérégrins) et à leurs familles. Dans ce cas, le nouveau citoyen prend le nom de l’empereur. Quant aux esclaves affranchis, ils reçoivent le statut de leur ancien maître : si celui-ci est citoyen romain, ils le deviennent à leur tour avec des droits limités. Ce sont les fils des affranchis qui pourront exercer pleinement les droits du citoyen. Les critères pour être citoyen sont différents et plus ou moins restrictifs à Athènes et à Rome. Qu’en est-il des droits dont disposent les citoyens ? B. Les droits et les devoirs du citoyen. A Athènes, le citoyen dispose : de droits politiques : seul le citoyen peut voter, participer aux élections et exercer des charges publiques (politiques, religieuses ou militaires) ; de droits judiciaires : seul le citoyen peut bénéficier de la protection de la justice et porter plainte par lui-même. Il bénéficie de l’égalité devant la loi (isonomie). Enfin, il ne peut être soumis à la torture ou être vendu comme esclave ; de droits civils : seul le citoyen a le droit de posséder une terre ou une maison et de les transmettre en héritage. Lui seul peut contracter un mariage avec une fille de citoyen athénien. Enfin, seul le citoyen peut recevoir du blé et des aides financières de la cité pour aller au théâtre, par exemple. En contrepartie, le citoyen a des devoirs importants, dont celui de défendre la cité, de 18 à 60 ans. Depuis les réformes de Solon, les citoyens les plus riches servent comme cavaliers et la plupart des autres citoyens sont des hoplites (fantassins). Les plus pauvres des citoyens, ne pouvant financer leur armement, sont rameurs sur - 2/8 - les navires de guerre : les trières. Les plus riches des citoyens doivent aussi faire preuve de générosité en finançant directement les dépenses publiques les plus lourdes, par le biais des liturgies, c’est-à-dire par la prise en charge des services publics impliquant de fortes dépenses. Parmi les plus coûteuses, la triérarchie consiste à financer et à entretenir l’équipage d’une trière pendant un an, et la chorégie consiste à financer un chœur pour les représentations lors des concours de théâtre. Le non-respect de ces devoirs peut conduire à la perte, totale ou partielle, définitive ou temporaire, personnelle ou héréditaire, de la citoyenneté (atimie) suite à un procès pour lâcheté au combat, vol, dettes ou impiété (Socrate et Aristote) voire même à l’ostracisme (exil). A Rome, le citoyen romain dispose de sept droits fondamentaux : le droit de propriété (ius commercii), c’est-à-dire qu’il peut disposer librement de ses biens, les vendre, en acheter, en hériter ; le droit de mariage (ius conubii), seul le citoyen peut obtenir un mariage légitime avec une fille de citoyen ; le droit d’intenter une action en justice (ius legis actionis) devant les magistrats romains, le citoyen romain ne peut subir de torture dans le cadre d’un procès ; le droit de vote (ius suffragii) lors des élections des magistrats ou pour confirmer les décrets du Sénat dans les assemblées populaires, les comices ; le droit d’être élu (ius honorum), le citoyen participe au cursus honorum (« voie des honneurs rassemblant les carrières administratives, politiques, juridiques et militaires) qui se déroulent par étapes et mènent aux plus hautes fonctions ; le droit d’appel au peuple dans les procès criminels (ius provocationis), sous l’empire ce droit d’appel se fera devant l’empereur ; le droit de participer aux sacerdoces (ius sacrorum), c’est-à-dire d’exercer la fonction de prêtre pour les cultes publics. De plus, seuls les citoyens romains peuvent servir comme volontaire dans les légions, le corps de base de l’armée romaine. Après 20 ans de service, ils peuvent se voir offrir des terres lors de la fondation de colonies romaines. Les citoyens bénéficient des richesses de l’empire (distribution gratuite de blé, jeux, embellissement des cités). Etre citoyen romain, c’est également avoir des obligations. Le citoyen romain ne paye pas le tributum (impôt proportionnel à la fortune sur les terres et sur les biens, depuis 167 avant Jésus-Christ), mais il doit s’acquitter d’autres impôts, notamment les 5% sur les successions. Il doit, en outre, obligatoirement participer aux cultes publics parmi lesquels le culte impérial instauré à partir d’Auguste, au début du Ier siècle. A Athènes comme à Rome, être citoyen signifie bénéficier d’un certain nombre de droits mais aussi exercer certains devoirs. Qu’en est-il des autres habitants qui ne respectent pas les critères de citoyenneté ? C. La situation des non-citoyens. Sur les 333 000 habitants de l’Attique vers -430, seuls 40 000 sont citoyens : les femmes et les enfants de citoyens (103 000), les métèques (40 000) et les esclaves (150 000) sont exclus de la vie politique. A Rome, les non-citoyens représentent aussi la majorité de la population mais leur nombre varie en fonction de l’expansion de l’Empire. Les femmes athéniennes sont considérées comme des enfants. Elles vivent toujours sous la tutelle d’un homme (père, mari, frère, fils), elles ne peuvent ni hériter, ni disposer librement du fruit de leur travail. Leurs tâches sont essentiellement ménagères. Privées de droits politiques, elles sont pourtant considérées comme gardiennes des traditions et donc associées à la vie religieuse de la cité. Cette relative importance vient du fait qu’elles engendrent les futurs citoyens athéniens. A Rome, les femmes passent de la tutelle de leur père à celle du mari mais elles sont plus libres qu’en Grèce. Les matrones et les veuves disposent des droits civils du citoyen (héritage, divorce, témoignage au tribunal, éloge funèbre) mais pas des droits politiques Athènes accueille de nombreux étrangers, Grecs ou non-Grecs. S’ils ne sont que de passage, ils ne sont pas protégés par la justice traditionnelle mais par des tribunaux spéciaux aux procédures plus sévères. Par contre, s’ils restent un certain temps à Athènes (plus d’un mois), s’ils s’acquittent d’une taxe spéciale (metoïkon, 12 drachmes pour un homme, 6 drachmes pour une femme) et si un citoyen se porte garant d’eux, ils accèdent à un statut particulier, celui de métèque. Certes, ils ne participent pas à la vie politique mais ils participent à la défense de la cité, bénéficient de la protection des tribunaux athéniens. Ils participent aussi à la vie publique par l’intermédiaire des liturgies et à la vie religieuse de la cité. Hommes libres, ils sont artisans, commerçants ou changeurs et contribuent donc à la prospérité d’Athènes, ce qui explique ce statut particulier. Exceptionnellement, l’assemblée des citoyens peut accorder la citoyenneté aux métèques ayant bien servi Athènes. L’Empire romain intègre, au cours des conquêtes, de nombreux peuples étrangers. Ces pérégrins - 3/8 - n’ont pas la citoyenneté romaine mais conservent celle de leur cité d’origine. Contrairement à Athènes, ils peuvent raisonnablement espérer devenir citoyen. Privés de liberté, les esclaves n’ont aucun droit à Athènes comme à Rome. Ils sont considérés comme une marchandise que l’on peut vendre, louer ou transmettre par héritage. En cas de procès contre son maître, l’esclave appelé à témoigner est torturé. Ils sont utilisés dans tous les secteurs de la production, en fonction des activités de leurs maîtres. Ils déchargent ainsi le citoyen des tâches quotidiennes lui permettant ainsi de s’occuper de la vie politique. Ils sont protégés par la loi afin de ne pas perdre une force de travail. Dans certains cas rares, l’esclave peut être affranchi par son maître : à Athènes, il devient métèque tandis que, à Rome, il reçoit le statut de son maître. Seule une petite partie de la population athénienne et romaine remplit les critères pour être citoyen, les autres habitants en sont exclus. La citoyenneté offre des droits et des devoirs dont le plus important, car faisant la distinction entre un citoyen et un non-citoyen, est le droit de participer à la vie politique. Cette participation est-elle la même dans la démocratie athénienne que dans l’Empire romain ? II. Quel est le rôle politique du citoyen, à Athènes et à Rome ? Etre citoyen signifie participer à la vie politique. Cependant, les rôles politiques du citoyen athénien et du citoyen romain sont très différents. A. A Athènes, les citoyens gouvernent. La Cité-Etat athénienne (polis) domine un territoire, l’Attique, de 2 600 km² qui comprend un territoire agricole (chora) avec des villages, un grand port, Le Pirée, et une ville capitale, Athènes (asty). Athènes se distingue des 750 autres Cités-Etats grecques par son système politique, la démocratie, qui s’est mis en place progressivement. En effet, Athènes a d’abord été une oligarchie (le pouvoir politique est exercé par une aristocratie de quelques personnes) du VIIe siècle jusqu’à la réforme de Solon, en -594 qui a réparti les citoyens en quatre classes selon leurs revenus (censitaires) et non plus selon leur naissance. Certes, l’aristocratie conserve l’essentiel du pouvoir mais les autres citoyens obtiennent les mêmes droits civils et judiciaires ainsi qu’une partie des droits politiques (vote des lois, par exemple) en fonction de leur richesse. A partir de -560, Pisistrate impose une tyrannie, forme particulière de monarchie où la personne qui gouverne a pris le pouvoir par la force. Ses fils lui succèdent en -527 et furent renversés en -508. A cette date, Clisthène met en place une réforme qui répartit les citoyens en dix tribus selon leur lieu de naissance et non plus selon leurs revenus. Désormais, tous les citoyens disposent de droits politiques identiques. L’ensemble des citoyens formant le demos peut participer à l’Ecclésia, une assemblée souveraine qui se réunit 10 fois par an au Ve siècle et 40 fois au IVe siècle avant J. -C., sur la colline de la Pnyx pouvant accueillir environ 8 000 personnes mais seul un quorum de 6 000 citoyens est nécessaire. Cette assemblée a en charge le vote, à mains levées, des lois, de la paix et de la guerre ainsi que de l’ostracisme. Chaque citoyen peut proposer une loi et participer aux discussions. L’assemblée décide aussi de la construction des temples et du calendrier religieux. Les lois évoquées à l’Ecclésia sont préparées par un conseil restreint, la Boulè, composé de 500 citoyens de plus de 30 ans, les bouleutes, tirés au sort par l’Ecclésia à raison de 50 par tribus. La fonction de bouleute est renouvelable une seule fois. Ce conseil se réunit tous les jours (environ 200 par an) sauf lors des fêtes religieuses. En raison de son caractère permanent, la Boulè participe aussi à la gestion des affaires de la cité par le contrôle qu’elle exerce sur les magistrats (reddition de comptes) et par le biais de commissions spécialisées recrutées en son sein (contrôle des constructions navales, par exemple). Enfin, le conseil joue un rôle dans la politique étrangère d’Athènes et dans ses relations avec les cités alliées en collaboration avec les stratèges. Pour renforcer la permanence du pouvoir, les 50 bouleutes de chaque tribu assurent, sous le nom de prytanes, une présence continue d’un mois (35 à 36 jours) sur l’Agora dans le prytanée ou tholos. Ils y prennent leurs repas aux frais de la cité et un tiers d’entre eux y passe la nuit. Les prytanes convoquent l’Ecclésia et la Boulè, dont ils forment le bureau. Ils fixent l’ordre du jour des séances et reçoivent les ambassades. Ce sont également des citoyens de plus de 30 ans qui composent l’Héliée, le tribunal populaire d’Athènes, situé près de l’Agora. Les 6 000 héliastes (600 par tribus) tirés au sort par l’Ecclésia pour un an jouent un rôle essentiel de contrôle politique. En effet, tout citoyen peut saisir la justice contre un mauvais magistrat, pour contester la légalité d’une décision prise en assemblée ou pour une affaire privée. Pour chaque procès, le jury est tiré au sort parmi les héliastes. Les sentences sont adoptées à bulletins secrets et sont sans appel. A côté de ces institutions démocratiques, persiste le conseil de l’Aréopage qui est le vestige de l’ancien conseil aristocratique qui gouvernait la cité. A partir de Solon (-594), il se compose des anciens archontes et ce jusqu’à - 4/8 - leur mort (environ 150 aréopagites). L’Aréopage contrôle le gouvernement de la cité après les Guerres Médiques jusqu’à la création de la Boulè puis la réforme d’Ephialte (-462) qui le privent de la plupart de ses pouvoirs politiques et judiciaires répartis entre l’Ecclesia, la Boulè et l’Héliée. Il ne prend plus en charge que les procès religieux, les affaires d’incendie, d’empoisonnement et de meurtre volontaire d’un citoyen avec préméditation. Cependant, ce conseil vénérable garde un grand prestige qui fait de lui la plus haute autorité morale de la cité. Environ 700 magistrats disposent d’un plus grand pouvoir dans la mesure où ils gèrent des affaires particulières comme les fêtes, les marchés ou la guerre. La plupart du temps, chaque fonction est occupée par 10 magistrats tirés au sort ou élus pour un an, donc un par tribu clisthénienne. Afin de limiter leur pouvoir, leur charge est exercée collectivement et ils doivent rendre compte, en sortie de charge, de leur action à la Boulè. Les stratèges et les archontes sont les plus importants. Les stratèges dirigent l’armée et la politique étrangère d’Athènes. Les archontes sont en charge de la présidence des tribunaux et de la religion civique. Tirés au sort, les archontes perdent leur prestige au début du Ve siècle au profit des stratèges, élus et rééligibles, même si le tirage au sort est perçu comme un choix divin. Athènes étant une démocratie, les citoyens jouent un rôle politique central en exerçant de très nombreuses fonctions. En est-il de même dans l’Empire romain ? B. A Rome, des citoyens privés de pouvoir par l’empereur. La ville de Rome a connu différents systèmes politiques au cours de son histoire : monarchie de la fondation au VIIe siècle (753 selon la légende) jusqu’à 509 avant Jésus-Christ, République oligarchique de 509 jusqu’à 27 avant Jésus-Christ puis Empire à partir de 27 avant Jésus-Christ. C’est l’extension de la domination romaine en Méditerranée qui conduit à la chute de la République. De grands conquérants disposant du soutien de l’armée, d’un prestige important auprès de la population romaine et de véritables fortunes acquises grâce aux conquêtes, accumulent les charges et les honneurs puis remettent en cause la domination du Sénat et de l’aristocratie romaine. Finalement, après une guerre civile (-44 à -31), Auguste devient le premier empereur (-27 à +14). A cette date, l’Empire romain s’étend sur 5 millions de km² autour de la Méditerranée, des Iles Britanniques au Nord jusqu’à l’Egypte au Sud et à la Mésopotamie à l’Est. Cet Etat gigantesque est divisé en provinces gérées par le Sénat romain (provinces sénatoriales) pour les plus anciennes et les moins menacées ou par l’empereur (provinces impériales) par l’intermédiaire de gouverneurs pour les plus récentes et les plus menacées. Chaque province est divisée en cités, ce qui fait de l’Empire une fédération de cités. Il existe une hiérarchie des cités en fonction de leur statut juridique : les cités de droit romain (droit romain complet et accès au Sénat de Rome pour leurs habitants), les cités de droit latin (maintien du droit local pour l’essentiel de leurs habitants, magistrats devenant seuls citoyens romains en sortie de charge) et cités pérégrines (droit local uniquement pour leurs habitants). Ce statut est fonction de leur histoire. L’empereur est le princeps, le premier des citoyens, il concentre tous les pouvoirs : chef unique des armées (imperator), chef religieux (augustus, pontifex maximus), chef politique (imperium des consuls) et chef judiciaire (puissance tribunicienne). Il a le droit de décider de la paix et de la guerre, de proposer des lois ou de recommander des candidats aux magistratures. En tant que grand pontife, il organise les cultes publics. Enfin, l’empereur est divinisé après sa mort. Le culte impérial s’impose à tous les habitants de l’empire et constitue donc un ciment pour l’empire. La succession s’effectue de façon héréditaire mais l’armée joue un rôle important dans le choix de l’empereur. Quatre dynasties se sont ainsi succédées : les Julio-Claudiens (-27 à +68), les Flaviens (+69 à 96), les Antonins (+96 à 192) et les Sévères (+193 à 235). Après 235, la succession impériale devient instable. L’Empire est donc un compromis entre une monarchie et une oligarchie, il s’agit d’un pouvoir personnel agissant dans les cadres républicains : les anciennes magistratures sont maintenues mais vidées de leur sens. Les assemblées du peuple, les comices, se limitent, par exemple, à accepter le choix des magistrats par l’empereur. L’empereur contrôle le recrutement du Sénat qui vote les lois. Le pouvoir est donc concentré dans les mains de l’empereur qui nomme aux postes de responsabilité et gouverne avec des collaborateurs choisis par lui. Les citoyens ne jouent alors plus aucun rôle au niveau électoral, législatif ou judiciaire. En échange, la paix civile, le pain et les jeux sont censés compenser la perte de pouvoir du citoyen romain. En effet, les citoyens romains manifestent leurs opinions lors des nombreux spectacles ou des cérémonies religieuses offerts par l’empereur ou par les notables fortunés. Sous l’Empire, la vie civique se déplace ainsi dans d’autres lieux que le forum, la place publique de la République, à savoir le théâtre, le cirque ou l’amphithéâtre. Par contre, à l’échelon local, le citoyen romain conserve son rôle politique. En effet, il participe à la vie de sa cité en élisant les magistrats et en exerçant des fonctions municipales. - 5/8 - A Athènes comme à Rome, il existe des citoyens. Cependant, leur rôle politique est très différent. Dans la démocratie athénienne, le citoyen détient le pouvoir et l’exerce à travers les institutions. Dans l’Empire romain, le citoyen n’exerce que le pouvoir confié par l’empereur. En quoi ces rôles politiques différents traduisent-ils des conceptions distinctes de la citoyenneté ? III. Des conceptions différentes de la citoyenneté ? Athènes et Rome présentent deux visions très différentes de la citoyenneté : pour l’une, il s’agit d’un sujet de discussion en raison d’une forte liberté d’expression, pour l’autre, il s’agit d’un outil de gouvernement. A. Athènes, une vision idéale. Le théâtre constitue une institution civique à part entière : les représentations sont financées par l’Etat ou par de riches citoyens, les acteurs et le chœur sont choisis parmi les citoyens ou les fils de citoyens et des indemnités sont versées aux citoyens les plus pauvres pour qu’ils assistent aux représentations. Les pièces de théâtre comme celles d’Aristophane permettent de critiquer certaines dérives (incompétences des magistrats ou des juges, lenteur des institutions…). Les philosophes proposent, eux, d’autres formes d’organisation politique. Selon Platon, ce n’est ni la naissance, ni la fortune qui donnent le droit de prendre les décisions mais l’éducation. Les travailleurs, accaparés par leurs activités, se trouvent donc exclus de la vie politique. Aristote, quant à lui, envisage une cité où les décisions sont placées entre les mains des citoyens les plus âgés, libérés de toute obligation militaire. Les philosophes critiquent, en particulier, le principe de la démocratie qui est trop soumise à la volonté du « petit peuple » et donc exposé aux sophistes. Ces derniers recherchent la persuasion du demos, s’il le faut au détriment de la vérité. Comme les sophistes et leurs élèves démagogues, issus des riches familles athéniennes, cherchent à manipuler l’Assemblée et ils doivent être exclus des cités idéales. Une partie de l’élite souhaite un retour à la « démocratie des ancêtres » qui réservait les charges publiques aux plus riches. A deux reprises, en -411 et en -404, à l’occasion de deux coups d’Etat, les anti-démocrates réduisent le corps civique à 3 000 citoyens et concentrent le pouvoir entre les mains d’un petit nombre (suppression du misthos). Les Athéniens ont conscience de la fragilité du régime démocratique contesté par une partie de l’élite et n’hésitent pas à employer les moyens de défense dont ils disposent. Ils multiplient ainsi les procès contre les auteurs de lois considérées comme illégitimes. De même, l’ostracisme, créé en -488, permet au demos de protéger Athènes contre un retour de la tyrannie en exilant des citoyens pour dix ans par un vote de l’Ecclesia. Le rétablissement de la démocratie, à la fin du Ve siècle, s’accompagne d’une intolérance croissante vis-à-vis de toute critique de ce système. Socrate est ainsi condamné à mort et les auteurs de comédies abandonnent la critique de la démocratie pour des sujets mythologiques. A Athènes, les citoyens discutent librement des qualités et des défauts de leur régime politique car ils recherchent la cité idéale. Dans l’Empire romain, la citoyenneté est-elle perçue de la même façon ? B. A Rome, un outil de paix. Les premières conquêtes autour de la ville de Rome conduisent à l’élargissement de l’ager romanus donc du nombre de citoyens. Des colonies romaines disposant de la citoyenneté romaine sont fondées avec une fonction de surveillance. Les autres cités vaincues deviennent des alliées de Rome, elles obtiennent le droit latin avec une partie du droit de cité. Sous la République, à la fin du IIe siècle avant J.-C., Rome compte près de 400 000 citoyens. De 91 à 88, se déroule la guerre sociale entre Rome et ses alliées (socii) qui finissent par obtenir, malgré la victoire de Rome, la citoyenneté romaine complète pour tous les hommes libres jusqu’au Rubicon (910 000 à 981 000 citoyens). Cette citoyenneté s’étend ensuite à la Gaule Cisalpine en 49 avt. J. -C.. Le nombre de citoyens passe à 4 millions vers 28 avt. J.-C.. Hors d’Italie, des colonies romaines (Narbonne, Arles, Lyon, Béziers, Orange, Fréjus ou Valence) ou latines (Nîmes, Vienne, Carcassonne, Aix-en-Provence, Carpentras ou Avignon) sont fondées. Certaines villes provinciales préexistantes reçoivent la citoyenneté romaine (municipes de citoyens romains). En 14 ap. J.-C., le recensement d’Auguste dénombre près de 5 000 000 citoyens. A partir de la période impériale, l’octroi de la citoyenneté romaine s’effectue envers des provinces entières : à la Gaule chevelue sous Claude (41-54), aux Alpes maritimes sous Néron (54-68), à l’Espagne sous Vespasien (69-79), à l’Orient sous Hadrien (117-138) puis, au milieu du IIe siècle, aux cités proches du Danube menacée d’invasion. Sous l’empereur Claude (41-54), la population citoyenne s’élève à 6 millions, c’est-à-dire un dixième de la population totale de l’Empire. A cette date, les citoyens provinciaux demeurent toutefois assez rares. C’est surtout l’élite locale qui réussit à intégrer la citoyenneté romaine grâce à l’essor du droit latin (les magistrats accèdent à une citoyenneté romaine totale en sortie de charge) qui gagne la majeure partie de la - 6/8 - moitié occidentale de l’Empire. La vraie révolution intervient en 212, quand l’empereur Caracalla accorde par un édit (constitution antonine) la citoyenneté à tous les hommes libres de l’Empire excepté aux deditices – étrangers appartenant à une tribu vaincue ou révoltée contre Rome, juste au-dessus d’un esclave. Désormais, même les plus modestes sont pleinement intégrés dans l’Empire. C’est l’aboutissement d’un processus d’ouverture débuté au Ier siècle avant J.-C. En prenant cette décision, l’empereur achève le processus de romanisation en arrivant à un total de près de 20 millions de citoyens. Le choix de Caracalla permet de mettre fin à la mosaïque de statuts politiques dans l’empire. Selon Dion Cassus, le but visé est fiscal pour imposer à tous les habitants de l’empire l’impôt sur les successions. Un but religieux est aussi possible avec la volonté d’étendre le culte impérial ou un but judiciaire pour simplifier la procédure. On peut aussi penser qu’il cherche le soutien des provinciaux après avoir fait assassiner son frère, Géta. Si, à partir de 212, Rome peut accorder la citoyenneté romaine à tous les habitants libres de l’Empire, c’est que, préalablement, elle a réussi à les intégrer par la culture. Les empereurs parviennent en effet à convaincre les élites provinciales que leur intérêt est d’épouser le mode de vie du vainqueur. Partout, bien avant 212, le modèle romain s’impose. Il triomphe surtout dans les villes, véritables vitrines du mode de vie romain. Chacune adopte un même plan structuré autour de deux axes principaux, le cardo et le decumanus, à l’extrémité desquels se trouvent des portes monumentales. A l’intersection de ces deux grands axes, se trouve le forum qui offre une basilique, des portiques. Sur ou à côté du forum, sont construits les temples du culte impérial et de la triade capitoline ainsi que les bureaux des magistrats. La ville permet d’adopter le mode de vie romain en fréquentant les thermes, les théâtres, les amphithéâtres. La politique d’urbanisation menée par l’Empire a pour objectif d’impressionner et de séduire les populations locales. A l’image de Rome, chaque cité dispose de magistrats chargés de l’exécutif et nommés par l’assemblée des citoyens, une curie ou sénat local formés de notables locaux présents à vie et votant les décrets. Les grands édifices (temple, théâtre, amphithéâtre, cirque, aqueduc) sont construits par les notables locaux (évergétisme). Ils offrent aussi des jeux et des spectacles comme l’empereur à Rome. Depuis la ville, la romanisation peut se diffuser dans les campagnes. Les riches provinciaux se font construire des domus copiant les décors des grandes villas romaines. La romanisation a toutefois des limites. Malgré l’adoption de la langue latine et des dieux romains, les coutumes locales subsistent, surtout dans les couches les plus humbles de la société et dans les campagnes. En 212, les habitants de l’Empire deviennent tous romains, mais ils n’abandonnent pas pour autant leur identité locale. L’accord de la citoyenneté permet d’attirer la sympathie des élites provinciales. Ainsi, P. Aelius Aristide, dans son éloge En l’honneur de Rome, explique que « De toutes les choses que l’on peut dire à la louange des Romains, il en est une qui est de beaucoup la plus digne d’attention et d’admiration : c’est la magnanimité dont ils font preuve en matière de droit de cité et jusque dans la conception même qu’ils se font de ce droit ; le monde n’a jamais rien vu de semblable ». Donnant accès aux fonctions administratives et militaires, l’octroi de la citoyenneté permet de mettre les populations des provinces au service de l’Empire et donc de mieux les intégrer. Progressivement, les provinciaux fournissent les fonctionnaires, les membres de la haute administration et même des empereurs. En devenant citoyens romains, les provinciaux bénéficient des privilèges liés à la citoyenneté (appel impérial) mais sont toujours assujettis aux lois et obligations de leur cité d’origine comme le paiement de l’impôt sauf privilège impérial. En effet, depuis l’édit de Cyrène promulgué par Auguste, les provinciaux conservent leur citoyenneté locale lorsqu’ils reçoivent la citoyenneté romaine ; ils ont donc une double citoyenneté. L’extension de la citoyenneté a suscité des réticences : certains citoyens expliquaient ainsi que l’empereur « voulait voir tout le monde en toge les Grecs, les Gaulois, les Ibères, les Bretons » ou que l’octroi de la citoyenneté aux provinciaux, c’est « l’Oronte qui se déverse dans le Tibre ». De même, certaines populations, comme les Grecs des cités, sont surpris par l’intégration d’anciens esclaves ou de groupes entiers. La politique de Claude va rencontrer l’opposition du Sénat refusant l’accueil des provinciaux. L’extension de la citoyenneté renforce sa perte de signification politique. Contrairement à Athènes, les Romains diffusent leur mode de vie afin d’obtenir le soutien des peuples dominés et octroient progressivement la citoyenneté romaine à tous les habitants de l’empire pour garantir ce soutien. Bien que l’utilisation de la citoyenneté ne soit pas la même à Athènes et à Rome, la richesse joue dans les deux régimes un rôle important. - 7/8 - C. Un point commun : l’atout de la richesse. Depuis Clisthène, l’égalité est un des principes fondateurs de la démocratie athénienne, que ce soit l’égalité devant la loi, l’Isonomie, ou l’égalité de parole à l’Ecclésia. Il est pourtant difficile de parler réellement de démocratie avant les réformes du Ve siècle, qui permettent aux citoyens d’obtenir l’isokrateia, l’égalité des pouvoirs. En effet, sous Périclès, la création du misthos, vers -450 permet aux citoyens siégeant à l’Héliée de recevoir une indemnité en échange de leur participation aux procès. Cette indemnité est étendue à la présence à la Boulè, à l’Ecclésia et à certaines magistratures permanentes vers -400. Au IVe siècle, pour lequel certains montants sont connus avec certitude grâce à Aristote, le misthos pour l’Ecclésia est de 6 oboles pour les séances ordinaires et de 9 oboles pour la séance principale de chaque prytanie ; celui pour la Boulè est de 5 oboles pour les bouleutes et de 6 oboles pour les prytanes ; en fin celui des héliastes est de 3 oboles. 6 oboles représentent le salaire journalier d’un ouvrier. Cette réforme reflète la conception de la démocratie pour Périclès, celle d’une cité apportant des avantages matériels aux citoyens, en particulier ceux qui vivent dans le centre urbain. Si la plupart des charges sont ouvertes à tous, en réalité seuls les plus riches peuvent consacrer leur temps aux affaires de la cité et occuper des fonctions prestigieuses : la stratégie est réservée à la première classe censitaire, l’archontat aux trois premières classes. En effet, les magistrats, qui doivent avoir plus de 30 ans, ne sont pas rémunérés. De plus, les magistratures électives, comme la stratégie, nécessitent des compétences particulières, fruit d’une éducation que seules les riches familles peuvent offrir. A Rome, contrairement à Athènes, les citoyens romains ne sont pas tous égaux. Il existe, tout d’abord, une distinction entre les patriciens, héritiers des fondateurs de Rome, et les plébéiens, formant le reste de la population. Cette distinction honorifique a été complétée par une distinction censitaire entre les honestiores (notables romains et provinciaux possédant un patrimoine supérieur à 5 000 sesterces – plus de 3 ans de salaire journalier d’un ouvrier évalué à 4 sesterces) et les humiliores (le reste de la population). Les honestiores rassemblent : les membres de l’ordre sénatorial qui disposent d’une richesse d’au moins un million de sesterces (685 ans de salaire d’un ouvrier), ils se distinguent des autres habitants de l’empire par le port du laticlave (toge à large bande de pourpre) ; les membres de l’ordre équestre qui disposent d’une richesse d’au moins 400 000 sesterces (274 ans de salaire d’un ouvrier), ils se distinguent des autres habitants de l’empire par le port de la toge à bande de pourpre étroite (angusticlave) et de l’anneau d’or ; les notables romains ou provinciaux qui disposent d’une richesse d’au moins 5 000 sesterces. Les honestiores profitent d’importants privilèges juridiques et participent financièrement à l’embellissement de leur cité. Ils distribuent des bienfaits à leurs concitoyens et exercent les principales magistratures : le sénat pour l’ordre sénatorial, l’administration de l’empire et l’armée pour l’ordre équestre et l’administration locale pour les élites provinciales. Les humiliores constituent leur clientèle, recherchant leur aide en échange de leur fidélité, notamment lors des élections. Etre citoyen à Athènes comme dans l’Empire romain, c’est disposer de nombreux privilèges plus ou moins positifs par rapport aux non-citoyens. Mais, à Athènes, c’est aussi appartenir à une élite tandis que, à Rome, de nombreuses voies permettent d’accéder à la citoyenneté. Cette différence provient du rôle du citoyen : les citoyens athéniens sont les seuls maîtres de leur Etat alors que les citoyens romains sont avant tout les sujets de l’empereur. A Athènes, la citoyenneté est un statut juridique tandis que, à Rome, elle marque l’appartenance au monde romain et permet de contrôler un immense empire. Malgré une vision différente de la citoyenneté, à Athènes comme à Rome, la richesse favorise la participation au pouvoir. Est-ce encore la même chose aujourd’hui ? - 8/8 -