Le goût de l`eau
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Le goût de l`eau
Anne-Claude Luisier, ingénieure en denrée alimentaire dipl. EPFZ, spécialisée en approche sensorielle de l’alimentation LE GOÛT DE L’EAU Le goût de l’eau … Le Manuel des denrées alimentaires définit les critères de qualité applicables à l'eau potable : «elle doit être inodore, incolore et insipide» 1 Valeur sensorielle LA PERCEPTION SENSORIELLE Le goût c’est… Résultante de TOUTES les propriétés PERÇUES Aliment - eau Individu 2 Des sens et du sens ! Eau potable Art. 3 Exigences 1 L’eau potable doit être salubre sur les plans microbiologique, chimique et physique. 2 Elle est réputée telle, à l’endroit où elle est mise à disposition du consommateur: a. lorsqu’elle répond aux critères hygiéniques et microbiologiques fixés pour l’eau potable dans l’ordonnance du DFI du 23 novembre 2005 sur l’hygiène; b. lorsqu’elle ne dépasse pas les valeurs de tolérance ni les valeurs limites fixées pour l’eau potable dans l’ordonnance du 26 juin 1995 sur les substances étrangères et les composants, et c. lorsque son goût, son odeur et son aspect sont irréprochables. En Suisse, il existe 3 ressources d’eau potable (société suisse de l’industrie, des gaz et des eaux, 2008) les sources qui représentent 40% de la production, les nappes phréatiques (eaux souterraines) qui représentent également 40%, les eaux de surfaces, essentiellement les lacs, représentant 20%. RS 817.022.102 Ordonnance du DFI sur l’eau potable, l’eau de source et l’eau minérale 3 Eau de source Art. 8 Exigences 1. Lors de sa remise au consommateur, l’eau de source doit satisfaire aux exigences de pureté applicables à l’eau potable. Au surplus, ses propriétés microbiologiques doivent correspondre à celles de l’eau minérale naturelle. 2. L’eau de source ne peut être soumise à aucun traitement et ne peut faire l’objet d’aucune adjonction. Font exception les procédés visés à l’art. 13, al. 2. 3. Les art. 17 et 18 s’appliquent par analogie à l’eau de source. Eau minérale naturelle Art. 14 Dénomination spécifique 1 La dénomination spécifique est «eau minérale naturelle». Lorsque du dioxyde de carbone est libéré dans les conditions normales de pression et de température, la dénomination spécifique est: a.«eau minérale naturelle gazeuse» si l’eau a la même teneur en dioxyde de carbone qu’à l’émergence de la source; le dioxyde de carbone libéré dans les limites des tolérances techniques usuelles peut être remplacé par une quantité égale en provenance de la même source; b.«eau minérale naturelle renforcée au gaz de la source» si sa teneur en dioxyde de carbone provient de la même source et qu’elle est plus élevée qu’à l’émergence de la source après la mise en bouteille; c.«eau minérale naturelle avec adjonction de gaz carbonique» si le dioxyde de carbone ajouté ne provient pas de la même source. 4 Eau minérale naturelle 2 Lorsqu’une eau minérale naturelle subit un traitement visé à l’art. 13, al. 2, let. b, la dénomination spécifique doit être complétée par la mention «totalement dégazéifiée» ou «partiellement dégazéifiée». 3 Selon la composition, la dénomination spécifique peut être complétée par les mentions suivantes: a.«faiblement minéralisée» si la teneur en sels minéraux, calculée comme résidu fixe, ne dépasse pas 500 mg/l; b.«très faiblement minéralisée» si la teneur en sels minéraux, calculée comme résidu fixe, ne dépasse pas 50 mg/l; c.«riche en sels minéraux» si la teneur en sels minéraux, calculée comme résidu fixe, dépasse 1500 mg/l; d.«sodique» si la teneur en sodium dépasse 200 mg/l; e.«calcique» si la teneur en calcium dépasse 150 mg/l; f.«magnésienne» si la teneur en magnésium dépasse 50 mg/l; g.«ferrugineuse» si la teneur en fer bivalent dépasse 1 mg/l; h.«fluorée» ou «contient du fluor» si la teneur en fluor dépasse 1 mg/l; Eau minérale naturelle i.«bicarbonatée» ou «hydrogénocarbonatée» si la teneur en hydrogénocarbonate dépasse 600 mg/l; j.«sulfatée» si la teneur en sulfates dépasse 200 mg/l; k.«chlorurée» si la teneur en chlorure dépasse 200 mg/l; l.«acidulée» ou «de source acidulée» si la teneur en dioxyde de carbone libre propre à la source dépasse 250 mg/l; m.«contient beaucoup d’acide carbonique» si la teneur en dioxyde de carbone dépasse 6500 mg/l; n.«contient peu de gaz carbonique» si la teneur en dioxyde de carbone ne dépasse pas 4000 mg/l; o.«peut être laxative» si la teneur en sulfates dépasse 2000 mg/l. 5 Typologie du goût de l’eau 3 grands types de goût d’eau (eau potable, eau minérale): Les eaux de faible minéralité, perçues métalliques, souvent amères (exemple : Volvic – 109 mg/L) Les eaux de minéralité moyenne, perçues comme neutre et fraîche (exemple : Evian – 309 mg/L). Les eaux de forte minéralité, perçues salées et souvent astringentes (exemple : Contrex – 2125 mg/L). Le goût de l’eau : travail a été réalisé par Eric Teillet, dans le cadre de sa thèse CIFRE, avec l’aide de Christine Urbano et Sylvie Cordelle. Elisabeth Guichard et Pascal Schlich en ont encadré la conception et la réalisation. Il a été financé par Lyonnaise des Eaux et le Conseil Régional de Bourgogne. 2008 ©A-C Luisier- novembre 2012 Ville de Lausanne Teneur en sels minéraux (en mg/litre) Eau du robinet Eaux minérales plates Lac Léman Source des Source de Henniez Bornels la Montagne du Château Calcium Aproz Evian Vittel 47,1 48,1 60,7 108 449 78 202 Magnésium 6,4 6,1 6,6 20 68 24 36 Sodium 5,8 0,3 2,5 6 10,8 5 3,8 Potassium 1,5 0,2 0,5 1,1 2,2 1 2 104,3 113,5 168 316 165 357 402 Sulfates 49 49 9 13 1248 10 306 Chlorures 7,8 0,6 2 12 10,7 4,5 7,2 Nitrates 2,7 2,4 4,4 20 1,8 3,8 0,7 Bicarbonates Site internet ville de Lausanne novembre 2012 ©A-C Luisier- novembre 2012 6 Le goût de l’eau Lié à la minéralité, aux interactions entre les différents ions, à la température de consommation, à la présence de CO2 Est perçu par les sens Vue influence avant tout du conditionnement Odeur odeur de chlore ou autre «mauvaise» odeur Somesthésie astringence, pétillant Flaveur salée, amère, acide, métallique, «faux goûts» L’appréciation (le goût pour) dépend de l’habitude Dépend de la variabilité sensorielle interindividuelle (génétique, physiologie, culture, habitudes, état de santé…) Sensorialité du consommateur Le Manuel des denrées alimentaires définit les critères de qualité applicables à l'eau: elle doit être inodore, incolore et insipide. «Le consommateur reconnaît le goût de son eau habituelle et remarque la moindre altération» Mais le goût de l’eau ne s’arrête pas uniquement à sa valeur sensorielle descriptive 7 L’ACTE DE BOIRE Qu’est-ce que la soif? Soif régulatoire Liée à la baisse du volume d’eau corporelle + augmentation de la concentration en solutés divers réflexes homéostatiques rétablir l’équilibre hydriques et électrolytique - centre de la soif : hypothalamus Sensation de sécheresse de la bouche, difficulté à saliver – si soif forte maux de tête, perte de vigilance, diminution de la capacité de concentration Régulation plutôt performante chez l’adulte – plus problématique chez le jeune enfant et la personne âgée même si elle est imprécise (tardif, reste un déficit hydrique) Divers auteurs L’eau à la bouche, Fondation Alimentarium, 2005 – coord. Raboud, I. Stäuble, N. 8 Qu’est-ce que la soif? Soif non régulatoire Anticipe ou suit la soif régulatoire Liée à des facteurs neuro-hormonaux, sensoriels, psychologiques, sociaux et culturels influence sur la temporalité et le type de boissons Exemple : disponibilité («grignotage» de l’eau), palatabilité (caractère agréable – à la fois sensoriel et hédonique), peurs (caractère potable…) Quelle est la boisson qui apaise le mieux la soif? Celle qui coupe la soif le plus vite? Celle dont on boit la plus grande quantité et qui donc réhydrate le mieux? Et quelle est la place du plaisir? Divers auteurs L’eau à la bouche, Fondation Alimentarium, 2005 – coord. Raboud, I. Stäuble, N. Plaisirs de manger Plaisir lié à la satisfaction des besoins (satiété – qualité – ni trop, ni trop peu) Plaisir lié aux propriétés sensorielles d’un aliment : Mémoire Découverte Plaisir lié aux conditions de consommation : Etre plusieurs à manger - commensalité Partager un repas en famille Partage d’une culture … 9 Plaisirs de boire Le plaisir dans l’acte de boire c’est : La fin de la soif – immédiateté - le signe que j’ai répondu à mes besoins Le partage social – commensalité Le plaisir sensoriel ? Eau : peu de dimensions sensorielles Contrairement à l’alimentation, d’un point de vue sensoriel, c’est passer du complexe, le lait maternel à quelque chose de simple, l’eau semble difficile Lié aux conditions de consommation Moments de consommation (sports, balades…) Température Conditionnement Eau en gastronomie Bar à eaux Un aliment = une somme de valeurs Valeur sensorielle Valeur d’usage Valeur symbolique Un aliment 10 Valeur d’usage LES USAGES DE L’EAU EN ALIMENTATION Etancher la soif Mort certaine après quelques jours Apports Eau en boisson (récent 20ème siècle, eau n’est pas valorisée) Eau contenue dans les aliments Eau métabolique (combustion des macronutriments) Besoins dépendent : Âge Teneur en sel de l’alimentation Dépense énergétique Le corps humain est composé de 50 à 70% d'eau. Chaque jour, nous perdons, selon notre poids, environ 2 à 3 litres d'eau via la peau, la respiration, l'urine et les selles. Afin de compenser cette perte, nous devons consommer du liquide chaque jour. Une partie est remplacée par l'eau contenue dans la nourriture et nous devons boire le reste. La plupart des individus boivent souvent trop peu, mais attention: on peut aussi boire trop! PSS (site internet, 18.11.2012) 11 Fonctions de l'eau Etancher, apaiser la soif (récent jusqu’au 20ème siècle on ne buvait pas d’eau) Apporter des minéraux (mineur en matière de santé, majeur en matière de goût) Accompagner un repas Préparer les aliments Fournir une relation Au corps À l’enfance Aux autres (repas en commun, culture…) Influence sur la préparation des aliments Divers auteurs L’eau à la bouche, Fondation Alimentarium, 2005 – coord. Raboud, I. Stäuble, N. 12 Influence sur la préparation des aliments Les moments de consommation A table Entre les repas Au café Activités sportives La prise de médicaments Restriction alimentaire Cure … ©A-C Luisier- novembre 2012 13 Valeur symbolique QUE REPRÉSENTE L’EAU ? Différentes représentations Négatives Eau non potable effet sur la santé Mauvais usages présumés Positives Pureté, fraîcheur Montage, source Les contes et légendes pouvoir de l’eau Les eaux miraculeuses L’eau et l’urbanisme L’eau primitive Les «vertus thérapeutiques» vraies ou supposées ©A-C Luisier- novembre 2012 14 SENSORIALITE, USAGE, SYMBOLISME – PROMOTION DE LA SANTÉ Promotion de la santé : définition Selon la Charte d’Ottawa : la promotion de la santé est le processus qui confère aux populations les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d'améliorer celle-ci La santé est vue comme une ressource de la vie quotidienne (ressources sociales et individuelles) 15 Marketing social Des campagnes centrées sur le consommateur Etudier les freins et les leviers d’adhésion aux comportements vers lesquels on souhaite faire tendre un groupe d’individu identifié : étudier leurs habitudes, leur consommation et tous les éléments qui constituent leur norme sociale dans un domaine donné. Définir des leviers d’intervention, des messages pertinents et mobilisateurs pour le public visé. Identifier des canaux de diffusion de ces messages ainsi que les supports de communications adaptés qui faciliteront le changement de comportement ciblé. Du sens et de la cohérence Un tout – sensorialité, usage, symbolisme Un exemple de public cible LES ADOLESCENTS 16 Descriptif du groupe d’individus Boire ce n’est pas uniquement étancher la soif Boire pour appartenir à un groupe - «Boire un verre» commensalité Boire pour s’opposer aux normes, au «bien manger» – transgresser S’individualiser - importance du contenant – de la bouteille à la canette – usage. «…, tout le monde choisit sa bouteille, elle n’est jetée que lorsqu’elle a mauvaise mine ou bien qu’elle fuit»1 …. 1Le Fourn, M. La soif adolescente entre régression et quête d’identité in l’eau à la bouche, Fondation Alimentarium, 2005 ©A-C Luisier- novembre 2012 Leviers d’intervention Distinguer les usages boissons sucrées vs eau ? – pas vraiment ! - buts différents … ©A-C Luisier- novembre 2012 17 QUELQUES EXEMPLES Campagne FRC Saine Ecologique Economique La gourde ©A-C Luisier- novembre 2012 18 Les vertus de l’eau potable Eau potable fraîche – boire un plaisir suprême Campagne PSS Des arguments «produits» rationnels Des prescripteurs Des facilitateurs De l’émotionnel ciblé ©A-C Luisier- novembre 2012 19 Le prescripteur pour un usage - Badoit UN GOÛT « Badoit est l’eau qui me parle le plus, à la fois, en tant que consommateur mais aussi au travers de ma cuisine. Le goût de la Badoit est unique, une unicité aromatique mais aussi une texture si particulière, un goût quasiment signature. Ses bulles sont fines mais dynamiques, jamais en perdition… elles font danser le quotidien et réveillent les moindres ingrédients. C’est un produit qui fait partie intégrante de mes ingrédients clés. J'adore cette eau, elle m'accompagne depuis quelques décennies maintenant… » Thierry Marx Executive Chef Mandarin Oriental « Amoureux de BADOIT » ©A-C Luisier- novembre 2012 Eau de Genève http://www.sig-ge.ch/echo-citoyen/moins-et-mieux-consommer/boire_l_eau_de_geneve ©A-C Luisier- novembre 2012 20 Des goûteurs d’eau au service de l’Eau de Genève SIG a mis en place un réseau de goûteurs d'eau Un panel interne regroupe 40 personnes formées qui : se réunissent lors de 24 séances de dégustation par an ; testent environ 250 échantillons d'eau ; suivent une formation continue en aptitude organoleptique (c’est-à-dire les techniques pour définir les qualités de l’eau qui peuvent être appréciées par les sens humains). Le Panel SIG externe Le panel SIG externe, ce sont : 160 personnes recrutées ; 12 enquêtes par an par le biais d’un questionnaire en ligne ; une représentativité de la population du canton et de l’eau distribuée outil participatif sur internet ©A-C Luisier- novembre 2012 L’eau du robinet : un produit du Terroir Lyonnaise des eaux/site internet novembre 2012 ©A-C Luisier- novembre 2012 21 Eau de Paris – disponible - historique Ville de Paris/sinternet novembre 2012 Arts de la table http://www.wmf.fr/fr_fr/wmf-erleben/boire-avec-plaisir/eau.html On peut décorer l'eau Dans la carafe en verre Basic, l'eau est servie à table en beauté et en toute hygiène. Son goût est meilleur dans des verres adaptés 22 Les campagnes actuelles Arguments produit Qualité absence de dangers Durabilité écologie Bon pour la santé absence du sucre Argument hédoniste l’eau est bonne, fraîche Différenciation selon cible Usages Mode de vie Goût qualité constante CONCLUSION 23 Conclusion Le goût de l’eau – plus complexe qu’il n’y paraît (valeurs) Mettre le buveur d’eau au centre des actions de promotion de la santé Tenir compte des public-cibles – segmenter (marketing social) Tenir compte du moment de consommation Commensalité Disponibilité Faire preuve de réalisme «L’eau est inodore, incolore et insipide» Boire de l’eau – boire des boissons sucrées – boire de l’eau du robinet – boire de l’eau en bouteilles - valeurs différentes – non interchangeables «…l’alimentation est un système de communication, un corps d’images, un protocole d’usage, de situations et de conduites» «… observer si le passage d’un fait à un autre produit entraîne une différence de signification.» (Barthes R. Pour une psycho-sociologie de l’alimentation contemporaine. In : Annales. Economie, Scoiétés, Civilisations. 16e année, N.5, 1961. p.977-986) Bibliographie (non exhaustive) Baïchi L. Le plaisir un ami ou un ennemi de notre alimentation [Conférence] // Les actes du colloque IFN. - 2006. Bellisle, F. Le plaisir comme motivation et récompense - IFN, décembre 2006 Le Barzic, M. Le plaisir oral est-il nutritionnellement correct – OCL, 2007 vol. 14 Léon F. Comment goûtons-nous, Les Petites Pommes du Savoir, Le Pommier, 2009. Nicklaus, S. Boggio, V. Issanchou, S. Les perceptions gustatives chez l’enfant Archives de pédiatries 12, 2005, 579-584. Maier, A. Chabanet, C. Schaal, B. Leathwood, P. Issanchou, S. Food-related experience from birth through seaning: Contrasted patterns in two nearby European regions Appetite 49, 2007, 429-440. OCHA Ouvrage collectif Nourrir de plaisir. Régression, transgression, transmission, régulation? [Cahiers de l'OCHA, 2008 – coor. Corbeau, J.-P. - Vol. 1. Rigal N La naissance du goût Noesis, 2000. - enfants, goût, éducation. Décombaz, J. La soif in Schweizerische Zeitschrift für «Sportmedizin und Sporttraumatologie» 52 (4), 166–169, 2004 Schaal B et Soussignan R L'enfant face aux aliments : d'avant-goûts en préférences en programmations in Enfance. - Paris 2008 - 3 p.123-218 : Vol. 60. Teillet, E. Perception, préférence et comportement des consommateurs vis-à-vis d’eaux embouteillées et ’eaux du robinet – thèse de doctorat - Centre Européen des Sciences du Goût (CESG), 2009. Divers auteurs L’eau à la bouche, Fondation Alimentarium, 2005 – coord. Raboud, I. Stäuble, N. Divers auteurs La Recherche, n°443, juillet août 2010. 24