les jeunes et l`exclusion

Transcription

les jeunes et l`exclusion
JUIN 2005
DIAGONALES
DIAGONALES
LES JEUNES ET L’EXCLUSION
Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité
9, avenue René Coty - 75014 Paris - Tél. : 01 58 40 31 40
DIAGONALES - N°2
LES JEUNES ET L’EXCLUSION
005
Juin 2
N°2 -
LES JEUNES
ET L’EXCLUSION
Charles Milhaud, président.
ité
ses
lidar
a so
s cais n
l
e
r
d
u
o
datio
ionale
ne p
e nat 01, la Fon son
parg
s
E
is
’
a
d
t la C
ses
ril 20 pulsion de les
Cais
gne e ue en av
r
n
a
o
p
i
t
E
s l’im
’
ntre
iq
onda
ses d tilité publ mène, sou lutte co e, à la
is
a
La F
C
u
âg
d’
de
les
rité
rand isme.
ions
e par reconnue r la solida
g
t
é
c
u
é
a
r
C
,
s
u
s a
ttr
rgne
des
ne po lhaud, de ment liée ions d’ille
d’épa s d’Eparg
t
i
s mo
e
l
a
e
M
o
u
s
t
s
i
i
’
s
s
e
d
e
le
Caiss nt Char dance et ore à des iversité d
ial,
e
c
n
d
i
n
e
s
e
a d
p
é
o-soc à
pr
ic
e dé dicap ou ise par l
d
d
é
s
m
e
e
lar
grâc
ire et
form e, au han
singu
anita services
i
s
e
d
r
s
a
l
u
ma
tion
secte
ts et
et
onda
tif du lissemen
a
r
it et m r
La F vention.
c
o
ç
lu
b
n
a
n
u
t
o
r
é
no
elle c
irs po
d’inte eur à but au de 61
ions, me “Savo
s
t
e
u
a
l
s
r
c
é
n r
Opé
urs.
s ex ain, com
e.
ère u
orate
tre le
r
évalu
s
elle g 00 collab lutte con ns de ter ttrisme.
le
t
0
la
l’ille
actio
nne e
ses 2 direct de
e des tte contre s sélectio .
m
r
ê
u
Acte re elle-m re de lu
lle le
gide
nts, e ns sous é
iè
uv
t
a
a
v
œ
o
m
n
n
e
o
n
jets in
ndati
ir”, e
réuss ur de pro usieurs fo
ce
pl
Finan rite enfin
b
Elle a
SOMMAIRE
p04
Introduction
p54
Didier Tabuteau, directeur général de la Fondation
Caisses d’Epargne pour la solidarité
p14
Le regard d’un photographe
p58
Samuel Bollendorff, photographe à l’Oeil Public
p19
La santé des jeunes exclus, d’une région à l’autre
Annick Deveau, directrice adjointe du pôle social de la DRASS
Ile-de-France
Intervention
Les jeunes et les discriminations
Louis Schweitzer, président de la Haute Autorité pour la Lutte
contre les Discriminations et pour l’Egalité
Trois tables rondes
p22
Table ronde 1
LES JEUNES ET L’ÉCOLE
p64
Table ronde 3
LES JEUNES ET LES DISCRIMINATIONS
p24
Les éléments de compréhension de l’échec scolaire
et l’opération d’intérêt général “Savoirs pour réussir”
Alain Bentolila, vice-président de la Fondation,
professeur de linguistique à l’Université de Paris-V Sorbonne
p66
Les jeunes et l’argent, présentation des résultats de
l’Observatoire Caisse d’Epargne 2005
Alain Tourdjman, directeur des études à la Caisse Nationale
des Caisses d’Epargne
p30
Une expérience de terrain
Kheira Mallion, principale du collège Barnave à Saint-Egrève
dans l’agglomération de Grenoble
p72
La nouvelle équation sociale
Martin Hirsch, président d’Emmaüs
p76
p34
Etre jeune et exclu, qu’est-ce que cela veut dire ?
Hugues Lenoir, sociologue et professeur à l’Université
de Nanterre et intervenant à l’Agence Nationale
de Lutte contre l’Illettrisme
Solidarité Mode
Valérie Toranian, directrice de la rédaction du magazine Elle
et directrice générale de la Fondation Elle
Samira Cadasse, vice-présidente de “Ni putes, ni soumises”
p80
p40
Les liens indispensables à reconstruire entre les jeunes,
les familles, l’école, les acteurs de la cité
Jean-Marie Petitclerc, prêtre-éducateur, directeur de l’association
Valdocco, chargé de mission au Conseil général des Yvelines
Les difficultés d’insertion économiques et sociales des jeunes
Yveline Patault, adjointe au maire de Valenciennes et présidente
fondatrice d’AGEVAL
p84
Conclusion
Didier Tabuteau, directeur général de la Fondation
p48
Table ronde 2
LES JEUNES ET LA SANTÉ
p50
Formes actuelles de l’exclusion et comportements pathogènes
Edouard Zarifian, professeur émérite de psychiatrie et de psychologie
médicale à l’Université de Caen
2
3
Trois enjeux :
l’éducation, la santé et les discriminations
Mesdames, Messieurs, chers amis,
’est la seconde fois que nous sommes réunis ici et que j’ai le plaisir de vous
accueillir au nom de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité pour une
nouvelle édition de ses rencontres, les “Diagonales”.
Je voudrais tout d’abord au nom de Charles Milhaud vous présenter ses excuses et vous
exprimer ses regrets de ne pouvoir vous souhaiter la bienvenue dans cet amphithéâtre des
Caisses d’Epargne. Charles Milhaud, président du Groupe Caisse d’Epargne mais aussi
de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité, devait être parmi nous aujourd’hui
mais des obligations professionnelles impérieuses l’en empêchent. Il m’a chargé de vous
remercier de participer à ces rencontres et de vous dire combien il sera attentif aux fruits
de vos travaux.
C
Les “Diagonales” deux fois par an
Comme vous le savez, deux fois par an, la Fondation souhaite offrir aux professionnels,
aux associations, à tous les acteurs du secteur sanitaire et médico-social et à ceux de la
lutte contre l’exclusion sociale, un lieu et un moment pour échanger les expériences,
croiser les regards, confronter les idées.
Les “Diagonales” de décembre sont consacrées à la santé et au médico-social, et c’est ainsi
que nous avons pu débattre le 13 décembre dernier, des convergences pouvant exister entre
la prise en charge des dépendances, des handicaps et des maladies. La Fondation a
d’ailleurs le plaisir de mettre à votre disposition aujourd’hui les actes de cette journée.
Les “Diagonales” de juin porteront chaque année sur les questions d’exclusion sociale.
Pour leur première édition, nous avons voulu que ces rencontres permettent d’aborder la
question cruciale de l’exclusion chez les jeunes.
Quel défi plus grave une société peut-elle avoir à relever que celui de la difficulté de ses
enfants à trouver leur place en son sein ?
Et pourtant, nous savons que les jeunes sont, dans un contexte économique difficile, dans
une société inquiète, dans un univers changeant, particulièrement handicapés ou déstabilisés
au moment de rentrer dans l’âge adulte, de trouver un emploi, de dessiner leurs lignes de vie.
L’éducation, la santé et les discriminations
Nous avons souhaité organiser ce débat autour de trois thèmes : l’éducation, la santé et
les discriminations. Et je voudrais remercier chacun des intervenants qui ont accepté,
malgré des emplois du temps particulièrement chargés en cette période de l’année, de
consacrer de précieuses heures à ces rencontres et de nous permettre de découvrir ou
d’approfondir, et dans tous les cas, de mieux comprendre leur vision, leurs analyses et
leurs solutions.
Didier Tabuteau
Directeur général de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité
4
L’approche que nous souhaitons privilégier dans les “Diagonales”, est comme leur nom
l’indique ou plutôt le sous-tend, une démarche transversale, pluridisciplinaire, permettant
à des acteurs et des analystes de confronter leurs points de vue et de mettre en
perspective les difficultés auxquelles ils sont confrontés mais aussi les valeurs dont ils
sont porteurs.
5
Un sondage exclusif sur les jeunes et l’exclusion
“... Pour 43 %
des personnes
interrogées,
la difficulté à
lire et écrire est
la principale
caractéristique
de l’exclusion
concernant
les jeunes et
68 % considèrent
que l’illettrisme
est assez ou très
répandu chez
les jeunes...”
Pour connaître le regard de l’opinion publique sur ces questions, un
sondage a été réalisé par l’IFOP. Il est publié aujourd’hui. Il montre
que pour le public ainsi interrogé, les catégories au sein desquelles
l’exclusion est la plus répandue sont les personnes issues de
l’immigration, celles qui sont sans domicile fixe, mais aussi les
personnes handicapées et les demandeurs d’emploi.
A cet égard, la reconnaissance du handicap comme une cause
majeure d’exclusion témoigne d’une prise de conscience de la
diversité des sources d’exclusion et d’exigences nouvelles en
matière de solidarité. Je dois dire que pour nous, à la Fondation
Caisses d’Epargne pour la solidarité, c’est un encouragement à
poursuivre dans la voie que nous nous sommes fixée de lutter à la
fois contre les dépendances liées à l’âge, au handicap ou à la
maladie et contre les causes de l’exclusion sociale.
Concernant plus particulièrement les jeunes, on peut noter qu’ils
apparaissent comme une catégorie sociale dans laquelle l’exclusion
est répandue pour 31 % des sondés, proportion comparable à celle
des personnes âgées (34 %). De plus, pour 43 % des personnes
interrogées, la difficulté à lire et écrire est la principale caractéristique
de l’exclusion concernant les jeunes et 68 % considèrent que
l’illettrisme est assez ou très répandu chez les jeunes.
L’opinion publique a, hélas, raison et la première table ronde de cette
matinée devrait nous apporter quelques clés de compréhension.
Alain Bentolila, professeur de linguistique à l’Université de Paris-V et
vice-président de la Fondation, aura l’occasion de revenir sur
l’opération d’intérêt général “Savoirs pour réussir” conçue et mise en
place par la Fondation pour agir dans ce domaine.
La deuxième table ronde qui sera consacrée à la santé des jeunes
peut également bénéficier de l’éclairage de ce sondage. Les difficultés
dans l’accès aux soins pour les jeunes en situation d’exclusion résultent
d’abord, pour 53 % des personnes interrogées, des carences en matière
d’information pour ces jeunes sur leurs droits en matière de santé.
Mais elles tiennent aussi pour 43 % des sondés à l’incapacité dans
laquelle ils peuvent se trouver de savoir où et qui consulter. Ainsi les
problèmes d’information, de connaissance, d’orientation dans le
système de santé sont perçus comme prioritaires pour la mise en
oeuvre du droit à la protection de la santé.
La troisième question posée, celle des discriminations, nous a
également paru essentielle. Chacun peut, en effet, mesurer
l’importance des discriminations dont peuvent être victimes les jeunes
dans l’accès à l’emploi, dans l’accès au logement, dans l’accès aux
loisirs et en fin de compte dans l’accès à une vie “normale”.
6
Comment oublier que les jeunes adultes payent le plus lourd tribut au chômage avec un
taux deux fois supérieur à la moyenne de la population, plus de 20 % ? À noter que dans
le sondage réalisé pour les “Diagonales”, ressort clairement le lien, pour l’opinion
publique, entre l’illettrisme et la difficulté à trouver un emploi.
Ce barrage à l’emploi est considéré par 48 % des personnes comme l’effet le plus
handicapant de l’illettrisme, bien avant la difficulté à se faire comprendre ou à comprendre
les autres (32 %), le sentiment de gêne ou honte qui peut en résulter (32 %) ou la difficulté
à entrer en relation avec un service administratif (29 %).
Et signe irréfutable des difficultés d’insertion des jeunes dans la société, les 15/24 ans
sont directement touchés par les nouvelles formes de pauvreté. Celles-ci, liées à la
montée du chômage, notamment pour les jeunes sans qualification, et à des
transformations sociales et familiales, expliquent que les moins de 18 ans et les 18/29 ans
représentent entre 7 et 8 % des nouveaux pauvres.
Nos travaux sur les discriminations bénéficieront de l’une des premières interventions de
Louis Schweitzer, en sa qualité de président de la Haute Autorité de lutte contre les
discriminations et en faveur de l’égalité. Permettez-moi de le remercier tout
particulièrement d’avoir accepté de clôturer la matinée de cette journée de travail. Nous
sommes sensibles à l’honneur qu’il nous fait en participant aux “Diagonales” de la
Fondation.
La Haute Autorité a pour mission – selon les termes du président de la République – de
“défendre la cohésion de la Nation et d’affirmer les droits égaux de toute personne sans
distinction dans le domaine de l’emploi, du logement ou dans la vie sociale en général.”
Les perspectives ouvertes par son président serviront de rampe de lancement à l’aprèsmidi de travail qui portera sur ce thème.
Une Fondation engagée dans la lutte contre les dépendances et l’exclusion
Education, santé, handicap, emploi, logement, autant de thèmes qui intéressent directement
l’action de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité. La mission de la Fondation
est en effet de lutter contre toutes les formes de dépendance et nous avons choisi d’en
donner une acception large.
Notre premier axe d’action est la lutte contre les pertes d’autonomie liées à l’âge, au
handicap ou à la maladie.
La Fondation soutient des projets développés par des associations, des centres de
recherche, des organismes professionnels ou des acteurs sociaux.
A titre d’exemple, nous avons récemment signé des conventions de partenariat avec la
Fédération nationale des centres Pact-Arim pour l’aménagement du logement favorisant
le retour à domicile de personnes sortant d’hospitalisation, avec le CEA et le réseau
A.P.P.R.O.C.H.E. pour développer de la robotique de kinésithérapie ou avec la
Confédération de l’artisanat et petites entreprises du bâtiment (CAPEB) pour soutenir des
actions de sensibilisation et de formation des artisans aux problématiques du handicap et
de la dépendance. Enfin, nous finançons des projets portés par des associations qui
interviennent directement auprès des personnes âgées, handicapées ou malades.
7
La Fondation est également un acteur engagé du secteur sanitaire et
médico-social.
Elle est, d’ores et déjà, le premier réseau à but non lucratif de maisons
pour personnes âgées dépendantes, et la quatrième fondation reconnue
d’utilité publique par le nombre de ses collaborateurs.
Aujourd’hui, grâce à l’engagement de ses 2 000 salariés, elle
accompagne près de 4 000 personnes et elle envisage à l’horizon
2007-2008 de pouvoir en accueillir 7 000 à 8 000.
Elle développe également des établissements pour personnes handicapées et gère trois établissements de santé dont l’hôpital de Dinard.
“... La prise en
charge assurée
dans le cadre de
“Savoirs pour
réussir” vise
également à traiter
les difficultés
sociales qui,
chacun le sait,
accompagnent
très souvent
l’illettrisme...”
Notre deuxième axe d’action est la lutte contre l’exclusion sociale.
Au cœur de nos interventions, les problèmes d’illettrisme.
La Fondation a conçu, mis au point et développé l’opération d’intérêt
général que nous avons appelée “Savoirs pour réussir”. Il s’agit de
permettre aux jeunes de 18 à 25 ans, détectés en situation
d’illettrisme notamment lors des journées d’appel à la Défense
nationale, d’être accompagnés dans une démarche leur permettant
de reprendre contact avec la lecture, l’écriture, le calcul.
Un protocole a été signé en 2003 avec les ministères de l’Education
nationale, de la Défense et des Affaires sociales mais aussi avec les
missions locales et l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. La
reconduction de cette convention est en cours de signature et le
dispositif devrait s’étendre progressivement, au cours des
prochaines années, à l’ensemble du territoire national.
Le dispositif ainsi organisé se déploie grâce à l’engagement de tous
les partenaires régionaux, publics et privés, au premier rang
desquels figurent les Caisses d’épargne. L’opération est déjà
engagée sur le site pilote de Marseille qui accueille une centaine de
jeunes pour un parcours de réacquisition des compétences de base
et d’autres sites ont ouvert depuis le début de l’année, au Havre, à
Reims et à Chambéry. De nouveaux sites devraient voir le jour
prochainement, notamment en Aquitaine et en Provence-AlpesCôte-d’Azur.
La prise en charge assurée dans le cadre de “Savoirs pour réussir”
vise également à traiter les difficultés sociales qui, chacun le sait,
accompagnent très souvent l’illettrisme. C’est pourquoi, tout au long
de leur parcours, les jeunes bénéficient d’un accompagnement
individuel de manière à résoudre les difficultés de logement, de santé
ou les problèmes familiaux qu’ils peuvent connaître.
Et bien évidemment l’ambition est, lorsque le jeune a décidé de
s’engager fermement dans un processus de réapprentissage des
savoirs fondamentaux, de lui permettre d’y parvenir mais aussi
d’acquérir une formation qualifiante et de le suivre jusqu’à l’entrée
dans la vie professionnelle.
8
Nous avons aujourd’hui le projet, j’oserais même dire l’ambition, de développer au cours
des prochaines années notre action de lutte contre l’exclusion sociale dans d’autres
domaines que l’illettrisme. Nous y réfléchissons. Inutile de vous dire combien nous serons
attentifs à toutes les propositions, à toutes les interrogations, qui s’exprimeront au cours
de cette journée.
Un pôle de recherche et développement social
La Fondation est aujourd’hui engagée dans une nouvelle étape de son développement.
Par la portée de ses opérations d’intérêt général, le déploiement de “Savoirs pour réussir”,
l’expansion de son réseau d’établissements et services, l’enrichissement de ses
partenariats, elle doit être toujours plus présente, plus active, plus efficace aux côtés des
personnes les plus fragilisées par la vie.
Dans ce cadre, les “Diagonales” nous tiennent particulièrement à cœur.
En tant que fondation d’utilité publique, il est dans notre vocation d’apporter notre pierre
à la construction d’une société plus solidaire, et pour ce faire de favoriser les échanges
entre les différents partenaires de la solidarité. Ces rencontres voudraient devenir au fil des
années un creuset offert aux différents acteurs du secteur pour confronter leurs
expériences, leurs pratiques et leurs savoirs. La transversalité est toujours féconde. Elle
est toujours source d’innovation, elle doit aussi être source de tolérance et de respect mutuel.
Mais les “Diagonales” de la Fondation peuvent aussi contribuer au débat public sur les
défis sanitaires, médico-sociaux et sociaux auxquels notre société est confrontée.
Puissions-nous aider à rapprocher acteurs sociaux et acteurs économiques, acteurs
privés et acteurs publics, acteurs de la santé et acteurs du social.
Pourquoi ne pourrions-nous pas ensemble identifier de nouveaux points d’appui pour la
lutte contre les dépendances, les discriminations et en fin de compte l’exclusion ? Et peutêtre même contribuer à l’émergence de nouvelles politiques publiques. Devenir en
quelque sorte un pôle de “recherche et de développement social” pour adapter à nos
problématiques une expression forgée dans le monde économique.
Croyez bien en tous cas que la Fondation ne ménagera pas ses efforts pour participer, à
sa place et à son échelle bien sûr, et avec le soutien de l’ensemble du Groupe Caisse
d’Epargne, à ce mouvement.
Puissent les “Diagonales” illustrer le propos de l’écrivain Italo Calvino dans Le Baron
perché que je vous livre ici :
“Il comprit que les associations renforcent l’homme, mettent en relief les dons de chacun
et donnent une joie qu’on éprouve rarement à vivre pour son propre compte : celle de
constater qu’il existe nombre de braves gens, honnêtes et capables, tout à fait dignes de
confiance. Lorsqu’on ne vit que pour soi, on voit le plus souvent les gens sous leur autre
face, celle qui nous force à tenir constamment la main sur la garde de notre épée.”
Puisque nous sommes réunis aujourd’hui, et je vous remercie encore de nous faire l’amitié
de consacrer votre journée à ces travaux sur l’exclusion, fixons-nous pour seul projet,
mais quel projet, de regarder notre société comme le suggère Italo Calvino, de regarder
chacun de ses membres sous la “face” qui fait de lui un autre mais aussi un proche, un
membre de notre communauté humaine, pour qu’il ne soit jamais un exclu.
Je vous souhaite d’excellentes “Diagonales” et vous remercie de votre attention.
9
pour 51% d’entre elles. Il faut souligner qu’au terme de l’année internationale du handicap
et des campagnes de sensibilisation, le handicap est reconnu comme une des causes
premières de l’exclusion. Par ailleurs, l’exclusion paraît répandue, pour 30 % des
personnes interrogées, chez les 18/24 ans et pour 13% seulement chez les moins de 18
ans. Toutefois, parmi les personnes interrogées par l’IFOP, pour les 50/64 ans - c’est-àdire les parents - 36 % d’entre eux contre 31 % en moyenne, perçoivent davantage
l’exclusion des 18/24 ans et, les plus de 65 ans - c’est à dire les grands-parents - sont
les plus attentifs à l’exclusion que connaissent les moins de 18 ans (21 % contre 13 %
auprès de l’ensemble).
Quels sont les principaux facteurs d’exclusion chez les jeunes ?
Les difficultés à lire et à écrire pour 43 % des personnes interrogées, le manque de
soutien familial pour 44 %, la durée de la recherche d’emploi pour 43% : tels sont les trois
facteurs principaux identifiés par le grand public qui caractérisent les jeunes en situation
d’exclusion. La perception des jeunes sur eux-mêmes diffère sensiblement. Pour les
15/24 ans, leur exclusion se caractérise d’abord par les difficultés à s’exprimer dans la
langue du pays (43 % contre 33 % en moyenne), puis par la maladie physique ou
psychologique (37 % contre 27 %), par les discriminations (34 % contre 24 %) et enfin par
l’absence de cercle amical (24 % contre 17 %).
Une du journal Metro le 20 juin 2005,
les résultats du sondage exclusif IFOP
A l’occasion des “Diagonales” de juin 2005 sur le thème “Les jeunes et l’exclusion”, un
sondage IFOP a été réalisé sur le regard que le grand public porte sur cette réalité sociale.
Qui est le plus concerné en France par l’exclusion ?
Premier facteur d’exclusion, l’illettrisme est également perçu par une forte majorité
de personnes (68 %) comme un phénomène répandu chez les jeunes. L’intensité de la
perception de ce phénomène croît d’ailleurs en fonction des générations, 43 % sont de
cet avis chez les 15/24 ans, 64% chez les 25/34 ans et 75 % chez les 35 ans et plus.
Quant à la principale conséquence de l’illettrisme, elle est d’ordre économique. Le public
considère qu’il nuit d’abord gravement à l’insertion professionnelle. La corrélation
illettrisme et difficulté à trouver un emploi est immédiate pour 48 % des personnes
interrogées et plus fortement encore pour 51 % des 15/24 ans, suivi tout de suite après
pour 42 % d’entre eux par le sentiment de gêne et de honte que l’illettrisme provoque.
• Seules 11 % des personnes interrogées identifient les difficultés d’accès aux soins
comme l’une des caractéristiques essentielles de l’exclusion des jeunes. En revanche,
ces difficultés de l’accès aux soins apparaissent d’abord liées à l’information sur les droits
pour 53 % du public, puis à la capacité à savoir où et qui consulter en cas de besoin. Les
15/24 ans partagent le même avis.
Pour le grand public, l’exclusion touche en premier lieu les personnes d’origine étrangère
ou issues de l’immigration (58%), les 15/24 ans sont 75% à le penser. Viennent ensuite
dans l’ordre des catégories considérées comme touchées par l’exclusion, les personnes
sans domicile fixe pour 54% des personnes interrogées et les personnes handicapées
• Aujourd’hui, le handicap est identifié comme un facteur d’exclusion sociale et
l’illettrisme comme premier facteur de cette exclusion chez les jeunes de 15/24 ans.
Cette double reconnaissance par le grand public, légitime pleinement la vocation de la
Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité dans ses actions contre toutes les formes
d’exclusion et dans son choix en faveur de la lutte contre l’illettrisme.
10
11
la
pour
e
n
g
, aux
Epar
es d’ ersitaires iser
s
s
i
a
v
ir cro
tion C
x uni
onda nnels, au n, de ven ncepts
F
a
l
ssio
datio ter les co
” de
ales aux profe de la Fon
n
on
o
g
confr
Dia
res
ent
,
i
“
s
s
a
o
e
n
s
p
c
e
ur.
rt
ro
Le
en
secte
rité p et aux pa s expéri
juin
a
u
d
i
d
l
is de
so
ux
r le
ns
o
e
e
j
o
i
m
n
g
t
n
e
a
u
i
a
a
c
s
n au
sion
asso ards, éch battre de
essio ur
s
s
e
s
e
n
g
é
: une ciale et u au secte
les re lités et d
r an
a
a
es
é
p
r
n so
s
x
au
foi
lusio
relativ
c
x
x
s
u
e
e
’
l
u de
atiqu
es à
nt lie tiques lié des thém
o
s
Elle
éma bre sur
es th
sur d e décem o-social.
d
ic
mois e et méd
ir
a
it
san
12
13
Le regard d’un photographe
> Pour commencer cette journée, nous avons pensé donner la
parole à ces jeunes que l’on dit exclus. Jacky Durand, journaliste
à Libération et Samuel Bollendorff, photographe, ont filmé ces
jeunes, pendant cinq mois, dans la cité de la Grande-Borne, à
Grigny dans l’Essonne. Ils ont rapporté des témoignages très
instructifs, troublants, touchants. Témoignages, qui sont repris
chaque semaine, dans le journal Libération, sous forme de
chroniques illustrées de photos. Samuel Bollendorff est ici pour
nous en parler. Peggy Olmi
Dialogue entre Peggy Olmi, journaliste
et Samuel Bollendorff, photographe, sur les
témoignages de jeunes des banlieues
> Il semble que dans votre démarche vous ayez voulu vous
extraire de tout événement politique et retranscrire l’authenticité
de leur quotidien.
Samuel
Bollendorff
l’Oeil Public
Libération
Photographe à
et pour le journal
“Comme photographe, je voulais montrer autre chose que les voitures qui brûlent,
les victimes et les délinquants. Je voulais changer l’image de ces jeunes, prendre
le temps de les faire se raconter, raconter leur vie quotidienne.” Samuel Bollendorff
14
“... Montrer
autre chose
que les voitures
qui brûlent,
les victimes et
les délinquants...”
Mon approche se voulait, de toute façon, non partisane. Ce qui
comptait, pour moi, c’était de réinstaurer un dialogue, réengager la
conversation. C’est ce qui a été le plus long. Il fallait installer la
caméra, donc gagner la confiance des jeunes, ensuite il nous a fallu
sortir la caméra, faire des portraits, transcrire des conversations et
les afficher dans différents endroits de la cité. Une fois la confiance
gagnée, nous avons eu l’autorisation de les publier dans le journal,
avec la garantie que les petits films seraient diffusés intégralement
sur le web de Libération. Les jeunes étaient convaincus que les
journalistes racontent n’importe quoi. Le marché conclu avec eux
impliquait que l’on écrivait une chronique dans le journal, mais que,
sur le web, on transcrivait l’intégralité de ce qu’ils avaient dit.
15
> Quels ont été les propos les plus surprenants que vous ayez
recueillis ?
> Vous êtes restés cinq mois. Votre investigation continue-t-elle ?
La mise en place a duré cinq mois, cela fait six semaines que cette
chronique est installée dans le journal, l’idée est de continuer à en
fabriquer de nouvelles.
16
Ce qui m’a le plus impressionné, c’est la façon dont ils regardent
notre société, comme s’ils y étaient extérieurs. Ils ont une analyse
très tranchée, parfois dure, finalement assez pertinente.
17
> Ces jeunes partagent un patrimoine familial et historique très
présent. Ils disent qu’ils ne se battraient pas pour la France,
parce que leurs parents l’ont fait et n’ont pas été reconnus pour
autant.
C’est compliqué : ils sont nés en France, mais ils ont de la famille au
Mali. On a l’impression qu’ils préfèreraient aller se battre pour le Mali,
qu’ils ne connaissent pas, mais où ils n’ont aucune envie de vivre, en
même temps, ils sont très fiers d’être de Grigny. Cette ambiguïté
m’intéresse, j’ai envie de continuer à réapprendre à comprendre.
Trois tables rondes
1 Les
2 Les
3 Les
18
jeunes
jeunes
jeunes
et
et
et
e
l’écol
té
s
la san rimination
sc
les di
19
“
Je dis aux jeunes :
«Commence par te former,
apprends le travail
et tu vas grimper»
”
Ahmed, 31 ans, est le fondateur de Vivacité.
“Cité dans le texte”, journal Libération du 7 juin 2005,
photo : Samuel Bollendorff, témoignage retranscrit par Jacky Durand.
20
21
Première table ronde
LES JEUNES
ET L’ECOLE
1
INTERVENANTS
Alain Bentolila
Vice-président de la Fondation,
professeur de linguistique à l’Université de Paris-V Sorbonne
Kheira Mallion
Principale du collège Barnave à Saint-Egrève
dans l’agglomération de Grenoble
Hugues Lenoir
Sociologue et professeur à l’Université de Nanterre
et intervenant à l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme
Jean-Marie Petitclerc
Prêtre-éducateur, directeur de l’association Valdocco,
chargé de mission au Conseil général des Yvelines
22
23
LES JEUNES ET L’ECOLE
Les éléments de compréhension
de l’échec scolaire et l’opération
d’intérêt général “Savoirs pour réussir”
ous voyons aujourd’hui, année après année, un peu plus
de 65 000 jeunes gens et jeunes filles, sortir du système
scolaire avec des difficultés inégales de lecture et d’écriture.
Cette inégalité, très importante, nous est apprise par les
tests passés lors de la journée d’appel et de préparation
à la défense.
La question de l’illettrisme est un vieux débat. Le concept même
recouvre des réalités très différentes en termes de difficultés. Pour
0,8 % de la population l’illettrisme correspond effectivement à des
difficultés gravissimes de lecture et, plus encore, d’écriture. Ne pas
pouvoir déchiffrer un mot simple, jamais lu auparavant, une plaque
de rue, touche un peu moins de 10 % de la population. Souvenonsnous qu’au XIXèm siècle, 50 % de la population était dans ce cas.
L’école de la République n’a pas si mal réussi. Certaines personnes
ont des difficultés moindre, mais elles auront du mal à tirer parti d’un
texte d’une quinzaine de lignes, composé de mots relativement
fréquents et de structures syntaxiques simples, ce qui est un handicap
dans notre société exigente. Ce qui rassemble ces 65 000 jeunes qui
sortent de notre système scolaire, ce sont ces difficultés, diverses et
inégales, qui les rendent vulnérables aux problèmes sociaux.
Quand on lit mal, on écrit encore plus mal et il est bien rare que la
parole soit facile. L’argumentation, la capacité d’explication,
d’analyse sont difficiles et c’est le cœur même de la langue qui se
trouve touché. Lorsqu’on n’est pas capable de porter sa pensée au
plus juste de ses intentions, on se trouve confronté à de grandes
difficultés sociales. Cela ne veut pas dire que cette “insécurité
linguistique” conduise directement à l’exclusion mais elle s’y ajoute
et rend difficile les possibilités de s’en sortir et d’aller chercher les
aides auxquelles on peut prétendre.
N
Alain Bentolila
Vice-président de la Fondation, professeur de linguistique à l’Université
Paris-V Sorbonne
24
25
Par ailleurs, les hommes et les femmes ne sont pas égaux devant
cette “insécurité linguistique”, les filles s’en sortent mieux que les
garçons. Les denières analyses révèlent un écart de 6 à 7 points entre
les deux populations en matière de difficultés de lecture, d’écriture et
de parole. Dans la catégorie des jeunes les plus en difficulté on
trouve 84 % de garçons et 16 % de filles.
“... Les hommes
et les femmes
ne sont pas égaux
devant l’insécurité
linguistique...”
L’intelligence seule n’est pas en cause. Génération après génération,
la transmission de convictions s’est opérée de mère à fille. L’école
constitue pour les filles une vraie chance, une réelle capacité de s’en
sortir, une perspective d’émancipation, qui les conduit à faire le pari
de l’école. Pour les garçons la “virilité” s’accompagne de cette idée
que la culture lui est contradictoire. Bernard Charlot, dans ses
entretiens et ses études, montrait la confusion entre l’écrit, l’écriture,
la lecture et l’“efféminité”. Comme si tout cela était un peu honteux,
un peu ridicule, peu compatible avec une constitution de groupe viril.
On doit être particulièrement attentif aux jeunes filles et, notamment,
à celles issues de l’immigration. Il ne suffit pas d’interdire le voile à
l’école pour que cette école laïque devienne démocratique. La
démocratisation ni ne se limite ni ne se décrète, elle se gagne
chaque jour, avec beaucoup de précautions, de vigilance pour ces
filles, à qui on doit permettre d’étudier avec toute l’ostentation
qu’elles désirent. Je milite pour les signes ostentatoires de volonté
de lire, d’écrire et d’étudier pour les filles de ce pays.
Pour ces 65 000 jeunes qui, chaque année, sortent du système
soclaire, sans diplôme, avec des difficultés diverses de lecture,
d’écriture, d’explication, d’argumentation, les conséquences en matière
d’emploi, sont lourdes. Comment faire, comment se débrouiller,
comment aller se présenter, comment négocier quand on n’a pas les
mots pour le dire ? Quand on n’a pas les mots pour convaincre ?
Une enquête de 1998, cela n’a pas dû changer beaucoup depuis,
montrait que dans 14 départements, les difficultés de lecture, d’écriture,
concernaient environ 11 à 12 % de la population générale des
jeunes. Chez les allocataires du RMI plus de 35 % des jeunes se
trouvaient dans la même situation. Comment s’insérer, se former,
lorsque les première demandes, lors d’un stage, sont de lecture et
d’écriture ?
Deux évidences s’imposent qu’il faut analyser avec prudence et
exigence.
Lorsque les mots pour dire les choses, lorsque la capacité à aller
vers les autres pour exprimer sa pensée au plus juste de ses
26
“... Laisser
65 000 jeunes
en situation
de vulnérabilité
est inacceptable...”
intentions n’existent pas, on a tendance à passer à l’acte violent. Ce
qui ne veut pas dire que les difficultés de lecture et d’écriture sont
directement liées à la violence ; mais que la parole articulée, celle qui
articule la pensée, laisse la pensée s’apaiser dans la parole qui se
déploie et donne plus de chance à l’explication qu’à la violence. Le
poids d’une puissance linguistique trop forte, à laquelle on n’a pas
accès, peut provoquer une réponse qui peut être celle de la violence.
Il existe, néanmoins, des bavards violents et des taiseux très
pacifiques. L’expérience montre que lorsque les mots se cognent
aux limites de son crâne, incapables de sortir, la frustration qui
s’installe alors peut engendrer la violence.
Lorsque les moyens d’analyser le discours de l’autre – au niveau
linguistique –, lorsque les moyens d’expliquer, d’argumenter,
n’existent pas, se déploie alors une vulnérabilité considérable. On se
trouve privé de discernement, moins capable que d’autres de dire
non lorsqu’il le faut, de réfuter ce qui doit l’être. Il devient difficile
d’exercer son libre arbitre, puisque le discours proposé se
transforme en vérité qui ne peut être mise en cause.
La lutte contre l’illettrisme doit aussi s’orienter vers cette capacité de
donner à tous la possibilité d’exercer son pouvoir linguistique au plus
juste et au plus fort, d’être vigilant quand cela se doit, exigeant
lorsqu’il faut l’être. Nous vivons dans un monde dangereux où les
discours, sectaires, extrémistes, sont structurés, forts et puissants.
Pour y résister, il faut une capacité linguistique importante. Laisser
65 000 jeunes en situation de vulnérabilité est inacceptable.
La Fondation a décidé de ne pas baisser les bras. Quand l’école a failli,
parce que la situation sociale est difficile et qu’un certain nombre
d’enfants, après avoir passé beaucoup d’années à l’école, en sortent
avec bien peu de choses en mains, il est de notre devoir de proposer
des solutions alternatives. “Savoirs pour réussir” repose sur l’idée de
faire les choses différemment, d’essayer de répondre à la question à
laquelle l’école ne répond jamais : pourquoi faut-il apprendre à lire, à
écrire et à compter ? L’école s’est massifiée, elle ne s’est pas
démocratisée. Il nous appartient d’avoir une proposition de clarté. Ce
dont ont besoin ces jeunes, c’est d’un accompagnement, d’un suivi
durant un temps suffisamment long pour qu’au fur et à mesure du
parcours, l’explication, le pourquoi des choses, leur soit donné.
En relation avec la journée d’appel et de préparation à la défense,
depuis trois ans, nous tentons de les convaincre que tout n’est pas
perdu, qu’il y a quelque chose à faire et que nous le ferons ensemble.
Avant tout, il faut régler les problèmes de survie – santé, logement,
etc. Cela se fera avec le tuteur qui va suivre le jeune, pendant quinze
27
“... Il faut cesser
d’opposer le plombier
au lecteur de textes
littéraires...”
mois et va l’amener, peu à peu, à prendre conscience que pour
atteindre un but qu’il s’est lui-même fixé, il va devoir acquérir un
certain nombre de savoirs et de savoir-faire.
“Savoirs pour réussir”, c’est changer l’ordre des choses. Il ne s’agit
pas d’apprendre et de voir ensuite ce que l’on fait. Il s’agit de se
demander ce que l’on veut faire et de se donner les moyens
nécessaires pour y parvenir.
La proportion tuteur-jeunes est d’un tuteur pour quatre jeunes. C’est
une opération lourde. Cinq régions sont déjà engagées. A Marseille,
nous avons quatre-vingts tuteurs, une quinzaine s’engagent dans la
foulée, cela est rendu possible parce que le groupe Caisse d’épargne
est constitué de façon à ce qu’il y ait, à la fois, cohérence et distribution
sur le terrain. Chaque région dispose d’un cahier des charges, qui
offre une grande autonomie d’action, dans le respect d’une même
philosophie, avec les mêmes outils et permet d’avancer dans les
mêmes directions.
La dévalorisation de tout ce qui n’est pas la “chose intellectuelle”, au
collège, achève les enfants fragiles. Il faut cesser d’opposer le plombier
au lecteur de textes littéraires. Au collège, le montage d’un circuit
électrique ou d’un système de plomberie et l’analyse d’un texte
littéraire doivent être notés et évalués de la même façon.
En France, plus qu’ailleurs, nous avons laissé la situation dégénérer.
Se sont constitués des ghettos sociaux reposant, non sur une
communion culturelle, mais sur la précarité, la perte de repères
culturels, l’impossibilité à aller ailleurs. Ce à quoi nous assistons, en
ce moment, en France, c’est à l’enfermement à l’intérieur de lieux où
les chances de s’en sortir sont infiniment moins grandes qu’ailleurs.
Ces ghettos sociaux ont engendré des ghettos scolaires.
Il faut apprendre la mixité. On ne peut pas laisser 10 à 15 % des gens
en dehors de tout espace social. Et ne prenons pas comme exemple
ce qui s’est passé à la Ferté-sous-Jouarre, où après avoir abattu les
barres, on n’a pas réparti les enfants des habitations détruites,
dans les diverses écoles de la bourgade. Non, on a créé une école
poubelle pour eux.
28
29
LES JEUNES ET L’ECOLE
Une expérience de terrain
a parole d’acteur de terrain, de professionnelle sera
modeste. Cette expérience de terrain s’inscrit dans
l’urgence et la multiplicité des tâches, dans une
urgence permanente. Une urgence que l’on pourrait
appeler de l’émiettement des tâches. Tout cela laisse
bien peu de temps à la réflexion.
Je suis donc personnel de direction ; actuellement principale de collège
en Isère, j’ai d’abord été adjointe dans différents types
d’établissements et avant cela professeur à l’étranger. En effet, j’ai
démarré ma carrière par l’enseignement de l’arabe au Maroc.
Imaginez ! Moi, la marocaine élevée en France, je suis partie
enseigner l’arabe à des marocains. Ce fut une expérience d’une
grande richesse.
M
Pour faire le lien avec l’orientation et puisqu’il s’agissait d’un témoignage
personnel, “un parcours de vie”, je dirais que cette expérience m’a
permis de comprendre que la France culpabilisait dans sa
communication au lieu de promouvoir un système éducatif
exemplaire malgré les critiques nombreuses.
En effet, au Maroc notamment, les écoles françaises ont été des lieux
de formation, d’organisation des classes moyennes. Les établissements
français ont représenté longtemps et encore aujourd’hui un formidable
moyen de promouvoir notre langue et notre culture. Ceci, je l’ai vécu
avec fierté et comme une très belle mission.
Kheira Mallion
Principale du collège Barnave à Saint-Egrève dans l’agglomération de
Grenoble
30
Après avoir été principale adjointe d’un collège considéré comme
difficile, j’ai occupé les fonctions de proviseur adjointe dans un grand
lycée dit de “centre-ville”. En matière d’orientation, le dossier est
complexe mais passionnant : les élèves y viennent réussir un bac
(l’objectif 100 % devrait être notre seul objectif), les élèves viennent
aussi pour poursuivre le projet d’orientation débuté en collège. La
difficulté du collège se poursuit. Combien de jeunes entreprennent
des études qu’ils abandonnent aussitôt ?
31
“... Il faut souvent
dire aux parents :
«Apprenez à
dire non à vos
enfants»...”
Aujourd’hui, je suis principale d’un collège qui accueille des enfants
de milieux très différents : 80 % des élèves sont issus de milieux
favorisés. Au cours de ces dernières années, j’ai pu constater que de
l’école à l’exclusion, il n’y a qu’un pas que de très nombreux jeunes
franchissent. L’école ne parvient pas à expliquer aux enfants pourquoi
ils sont là, ce qu’ils y font et ce qu’ils vont être amenés à y faire.
L’école ne parvient pas à les rendre acteurs de leur apprentissage.
L’enjeu majeur, l’enjeu de demain, c’est d’arriver à leur expliquer cela.
Le problème pour moi n’est pas tant le “décrochage” que
l’“accrochage” ! y compris de ceux que l’on dit “excellents élèves”.
européen, les enfants ont beaucoup parlé du discours pessimiste
que leur tenaient leurs professeurs “avec l’Europe”, alors que les
jeunes sont très européens, très ouverts sur le monde. Non
seulement on leur véhicule nos peurs, mais on leur interdit la
possibilité d’aller vers ce monde dont ils sont très friands ;
Pour répondre à la question sur la mixité : je suis moins optimiste
qu’Alain Bentolila en ce qui concerne le clivage filles/garçons. La
réussite des filles vraie, au départ, est moins importante avec le
temps et l’âge. Les garçons souvent défavorisés par le système et la
pédagogie pratiquée les rattrapent vite malgré tout, notamment dans
les lycées d’enseignement général. En revanche, la violence des
filles, en particulier contre elles-mêmes, représente un phénomène
préoccupant et il convient de le prendre en considération.
Il y a toute une série d’éléments qui permettent de déceler qu’un
jeune est en voie d’exclusion. En fait, au départ, on devrait plutôt
parler de mal-être. Cela peut se traduire de différentes façons :
Je m’inquiète moins lorsque les parents me disent en parlant de
leurs ados : «C’est la guerre à la maison» que lorsqu’ils me disent :
«Ils sont sages, ils sont calmes à la maison, je ne comprends pas
qu’en classe ils aient ce comportement-là…».
• par de l’agressivité vis-à-vis des adultes, vis-à-vis des pairs, vis-àvis d’eux-mêmes ;
• par du silence : les enfants du fond de la classe, comme on ne les
entend pas, on pense qu’ils sont sages, que tout va bien. En réalité,
ils ne comprennent simplement déjà plus ce qu’on leur demande ;
• par de l’absentéisme souvent d’abord “perlé” puis…
• par ce que l’on appelle le décrochage scolaire qui commence
parfois dès le primaire. On parle beaucoup du collège, pas assez du
primaire, où beaucoup d’éléments de difficulté sont mis en place.
De nombreux facteurs sont responsables de ces échecs :
• le pessimisme des acteurs : parents, professeurs, médias. Le
pessimisme ambiant qui consiste à dire ou plutôt à faire sentir aux
enfants le “vous êtes fichus, vous êtes dans une impasse” que l’on
habille très tôt de différentes façons ;
• La peur : la peur sociale. La peur des parents qui est souvent une
peur de l’échec, celle des professeurs qui leur renvoient la perte de
confiance. C’était très net au moment du débat sur le référendum
32
• L’implication des parents joue un rôle essentiel. Il y a des parents
que l’on a beaucoup de mal à voir à l’école ; beaucoup à qui on ne
peut pas tenir un discours réaliste. Il faut souvent leur dire :
«Apprenez à dire non à vos enfants, acceptez de vous confronter à
eux, l’adolescence est une crise passagère…»
• Les professeurs eux-mêmes, sont parfois en porte-à-faux vis-à-vis
de leurs élèves, il faut que nous les aidions à retrouver un vrai
langage et à ne pas avoir peur de leur propre difficulté parfois.
C’est difficile pour les enseignants qui sont, en général, d’anciens
excellents élèves à qui on n’a pas appris l’échec.
Pour ce qui est du lien entre adultes (parents/professeurs) dans le
collège que je dirige, j’ai mis en place des soirées “parents”. Ils viennent,
pour discuter entre eux, les professeurs viennent aussi, il y a ensuite
un pot. C’est l’aspect lien social et territoire de l’école.
Pour les enfants, j’ai instauré des tables rondes d’orientation et des
concertations actives, qui consistent à confronter les projets
d’orientation des jeunes, dès le début, à plusieurs partenaires : le
conseiller d’orientation, l’infirmière, l’assistante sociale, le professeur
principal sont présents, ainsi que les parents et les enfants. Le regard
des professeurs et des parents n’est pas le même dans ces
occasions et le travail peut ainsi commencer.
L’enquête Pisa montrait que les compétences de nos enfants étaient
insuffisantes ! Par ailleurs, elle dit beaucoup d’autres choses, elle
évoque, notamment, de nombreuses qualités chez nos élèves dont
la presse n’a pas parlé.
En réalité, il me semble que ce qui manque sans doute le plus, c’est
d’installer le travail d’équipe et la transdisciplinarité dans la durée ;
peut-être nous manque-t-il le sens de l’analyse fine.
C’est donc dans le domaine de l’évaluation que la marge de progrès
est importante à accomplir. Cette évaluation qui mettra l’élève en
situation d’acteur : acteur de réussites possibles. La part de l’école
est grande dans “l’éducabilité” de l’élève qui est un futur citoyen.
33
LES JEUNES ET L’ECOLE
Etre jeune et exclu,
qu’est-ce que cela veut dire ?
’il est vrai qu’il existe dans ce pays de nombreux îlots de
misère, de pauvreté, je crois, tout comme le sociologue
Robert Castel, que le terme d’exclusion en France est
inapproprié.
Il n’y a que des systèmes de désaffiliation plus ou moins cumulatifs :
on est toujours dans la société. Je ne pense pas que les jeunes, qui
sont parfois dans des situations extrêmement difficiles, soient dans
des situations d’exclusion, c’est-à-dire que les liens tissés par la
société sont, soit totalement détissés avec ces personnes-là, soit
que ces personnes n’aient jamais été connecté avec d’autres,
autrement dit je ne crois pas qu’elles soient en dehors de tout réseau
de sociabilité.
Les systèmes de contrôle sociaux dans lesquels ces personnes sont
engagées, maintiennent un lien avec la PAIO, avec les référents du
RMI, avec les travailleurs sociaux, avec l’ANPE, la sécurité sociale,
les allocations familiales, voire des suivis de justice, pour certains
d’entre eux. On ne peut, dès lors, parler d’exclusion. Tout est
contrôlé et inclus par le système qui, sans vous exclure, ne laisse pas
toute la place requise à l’exercice de votre droit à la citoyenneté
entendu au sens large. Ces personnes sont bien à l’intérieur de la
société et la société dans laquelle nous sommes accepte que, dans
son intérieur, il y ait des situations particulières de désaffiliation
partielle qui sont faites à certains ou à certaines. Situations qui les
privent de droits que chaque citoyen de ce pays, a, ou devrait avoir.
S
“ ... La société dans
laquelle nous
sommes accepte
que, dans son
intérieur, il y ait
des situations
particulières
de désaffiliation
partielle...”
Hugues Lenoir
Sociologue et professeur à l’Université de Nanterre et intervenant à
l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI)
34
Les désaffiliations sont protéiformes et parfois cumulatives. Plus
leurs éléments constitutifs sont nombreux, plus la situation de la
personne sera difficile :
• désaffiliation d’une certaine forme d’éducation et d’école qui,
comme le disait Bourdieu, a été pensée pour les héritiers. Certains
n’ont pas pu accéder à cette école qui fait les héritiers – c’est-à-dire
les élites – et qui fabrique ceux ou celles qui dirigeront les affaires
ultérieurement ;
35
• désaffiliation du travail ou de certaines de ses formes, on sait à
quel point il est difficile de trouver des emplois dans certaines zones
géographiques, indépendamment de la qualification.
Exclusion du logement, ou exclusion spatiale si le logement se trouve
dans une zone de relégation urbaine.
Exclusion du discours autorisé ou du moins de certains discours,
bien que dans ces cas de désaffiliation, les désaffiliés tentent de
recréer des discours particuliers – le rap aujourd’hui en est un, l’argot
hier, sortes de contre-pouvoirs sur le discours langagier ou sur le
pouvoir langagier, non acquis, non atteint ou simplement officiel ;
“ ... Le paradoxe
est là : ceux qui
semblent le plus
désaffiliés, le plus
discriminés, voire le
plus exclus, sont
dans bien des cas,
ceux qui font l’effort
de s’insérer...”
souvent violents, parfois charismatiques, qui arrivent, par leurs
discours, à avoir une influence sur tel ou tel groupe de jeunes et de
moins jeunes. Cela n’est pas très différent du discours, certes plus
policé, de nos barons d’industrie ou de certains grands leaders
charismatiques, souvent populistes. Certains “caïdats” peuvent être
plus rudes, plus violents, mais ressemblent à des modèles de toute
puissance que nos sociétés, plus policées, connaissent, développent
et valorisent parfois.
• désaffiliation aussi des centres urbains, des centres-villes, qui
sont des lieux, où ceux qui se ressemblent s’assemblent. Ceux qui
ne nous ressemblent pas s’assemblent ou pire encore, sont assemblés
dans d’autres lieux ;
• désaffiliation par rapport à la justice, bon nombre de jeunes
estiment, à tort ou à raison, que la justice n’est pas la même pour
tous.
Enfin, et c’est à terme le grand enjeu, la désaffiliation des jeux sociopolitiques ; les jeunes ne se reconnaissent plus dans les partis, le
Parlement, la République, où ils sont mal ou non représentés.
Le paradoxe est là : ceux qui semblent le plus désaffiliés, le plus
discriminés, voire le plus exclus, sont dans bien des cas, ceux qui
font l’effort de s’insérer.
Ceux qui ont joué le jeu de l’école, de l’Université, du travail sont les
premières victimes de grandes discriminations. D’autres considèrent
que la société ne leur fait pas de place et vont, consciemment ou
pas, tenter de construire un contre-modèle, une contre-société. Le
plus extraordinaire est que cette contre-société ressemble
furieusement à la nôtre, grossie et déformée, caricaturale.
Quand on observe les règles de l’économie souterraine que certains
mettent en place, on s’aperçoit que ce sont les règles d’une
économie ultralibérale. Le marché est libre, le travail rarement
déclaré, seuls les plus habiles y font fortune et sont, de ce fait,
reconnus par leur communauté.
Exclusion, désaffiliation de la consommation ? Pas si sûr. Quel est le
rêve de “ces enfants” de la télévision que les affiches et les médias
font surgir ? Des chaussures à trois bandes au lieu de deux, des Tshirts de marques, des automobiles de prestige, qu’ils ne pourront
pas s’offrir ? Alors, ils attendent que “ça tombe du camion”,
puisqu’ils sont dans la consommation, dans la surconsommation
même, ce sont leurs règles qui dominent en apparence, mais même
si elles sont déformées, grossies, ce sont bien celles du système
dominant qu’ils partagent. Idem pour le culte du chef, on parle dans
certains lieux des phénomènes de “caïdat”. Les caïds sont des chefs
36
“ ... La réussite par
l’argent vaut dans
certains lieux
“désaffiliés” comme
elle vaut dans
nos milieux...”
La réalisation de soi par l’argent, autre élément de ressemblance.
Depuis une trentaine d’année, nous assistons au développement de
ce modèle dans nos sociétés occidentales. On ne dit plus : «Que
fais-tu ?» «Quel âge as-tu ?», on demande à nos amis, à nos
collègues : «Combien pèses-tu ?». La réussite par l’argent vaut dans
certains lieux “désaffiliés” comme elle vaut dans nos milieux. Il en va
de même pour le travail. Ces jeunes ont vu leurs parents s’user à la
tâche dans des travaux dévalorisants, fatigants, mal payés, ils ne
veulent pas être comme eux.
Désaffiliés peut-être, mais si ressemblants.
Avant-dernier point : le sexisme. Certaines de ces microsociétés ont
à l’égard des femmes ou de ceux qui ont fait des choix sexuels
particuliers, des discours extrêmement radicaux et excluant,
discours que nous retrouvons également dans nos sociétés.
Enfin, dernier phénomène, le processus de communautarisme qui
repose sur des liens sociaux extrêmement forts, dont il est difficile de
se défaire, est-ce totalement différent des phénomènes de corps liés
à certaines grandes écoles ou de telle pratique articulée à des
valeurs communes dans les sphères dites aristocratiques ?
Cette société des “exclus” ressemble au verso d’une même pièce de
monnaie avec des traits grossis. Leur monde n’est en fait qu’une
image déformée de la nôtre.
Les plus pauvres, car ils existent néanmoins, sont du point de vue
économique très désaffiliés, mais du fait des interventions sociales,
moins désaffiliés que d’aucuns l’affirment. Ils restent, et en cela ils
sont précieux, des sous-consommateurs dont le système a besoin.
Leur monde est proche du nôtre et ils sont malgré tout privés des
modes d’exercice de leur citoyenneté, ce qui les empêchent de vivre
dignement, dans un pays qui est la quatrième puissance économique
de la planète. Ils relèvent de formes dégradées du modèle dominant.
Comment une société aussi riche que la notre tolère-t-elle que 10 à
15 % de sa population soit mise à l’écart, désaffiliée d’un certain
nombre de droits fondamentaux.
On assiste également à l’émergence de travailleurs pauvres.
De travailleurs inclus dans le système économique et qui se voient
privés, compte tenu des revenus insuffisants qu’ils tirent de leur
37
travail, de logement et sans doute de l’éducation pour leurs enfants.
Bertrand Schwarz disait, il y a plusieurs années, que les jeunes et les
moins jeunes, sont bon an mal an, devant quelque chose qui
ressemble à un mur de briques. Pour pouvoir vous inclure dans le
mur de briques, il faut qu’il y ait des trous dans ce mur et ces trous
sont de plus en plus rares. Aujourd’hui, une certaine imperméabilité
existe entre différents éléments du social. Nous, qui sommes du bon
côté de la pièce, pourrions peut-être veiller à fabriquer des brèches
et faire que ce mur tombe.
“ ... Il y avait plus
de mixité sociale
dans les immeubles
de la grande
bourgeoisie
que décrit Zola,
que dans notre
urbanisation
moderne...”
La question de la désaffiliation se fait aussi par intégration de la
norme ou par le refus de cette dernière. Il est essentiel de redonner
du sens au discours, du sens à l’école. Autrefois, on savait pourquoi
on apprenait. Le lien, entre apprentissages fondamentaux,
scientifiques, professionnels ou techniques et le débouché dans la
sphère économique et sociale, était automatique. Il ne l’est plus
aujourd’hui. Il est plus facile de faire de l’argent, du “caïdat”, en dehors
de ce système de reconnaissance, que de faire carrière par l’étude et
la scolarité.
Autre élément d’importance : l’effet Pygmalion. Lorsqu’un enseignant
pense que sa classe est composée de jeunes qui vont réussir, les
résultats de la dite classe sont souvent bien meilleurs. La société
devrait avoir cet engagement de type Pygmalion : penser que cette
jeunesse a toutes les chances de réussir. Inculquer que les difficultés
d’ordre social ne sont pas rédhibitoires, que la mise à l’écart n’est
pas systématiquement définitive. Donner la chance de pouvoir se
dire, de pouvoir se réaliser, montrer à ces jeunes que leurs dires,
leurs réalisations sont dignes d’intérêt et qu’elles nous apportent de
la richesse, permettrait à ces jeunes de se sentir moins exclus.
Il y avait plus de mixité sociale dans les immeubles de la grande
bourgeoisie que décrit Zola, que dans notre urbanisation moderne. Il
faut réintroduire la mixité sociale, à l’école certes, mais aussi dans la
culture. Il faut cesser de regarder l’autre comme celui qui ne voit pas,
qui ne pense pas, qui ne sent pas comme soi.
Enfin, il faut repenser ce que l’on appelle en termes éducatifs les
“ingénieries”. On utilise des processus de construction pédagogique,
des réponses pédagogiques exogènes – c’est à dire extérieures aux
populations directement touchées, là où il faudrait utiliser des
pédagogies endogènes. Penser des dispositifs éducatifs, sociaux
qui retissent les liens nécessaires à la diminution de la désaffiliation.
C’est à nous, les affiliés, de tenter de recréer du lien, économique et
social, et c’est à eux d’accepter de voir comment ces deux espaces
d’une même société peuvent se réaffilier, dans une société plus
juste, plus démocratique, plus digne.
38
39
LES JEUNES ET L’ECOLE
Les liens indispensables à reconstruire entre les jeunes, les familles,
l’école, les acteurs de la cité
’école n’est pas seulement l’affaire des enseignants, c’est
aussi celle des parents. Une part importante des problèmes
que nous connaissons aujourd’hui vient de ce que nous
avons confié la réforme de l’école aux seuls spécialistes de
l’école. Notre système éducatif est parmi les plus coûteux
d’Europe, l’efficience de moins en moins évidente.
On ne s’est pas suffisamment attardé sur le fait que la capacité
d’investissement d’un enfant, d’un adolescent, à l’école est largement
dépendante de la représentation de cet investissement dans le milieu
familial et environnemental, des pairs et des adolescents de leur âge.
L
“ ... L’école n’est pas
seulement l’affaire
des enseignants...”
Jean-Marie Petitclerc
Prêtre-éducateur, directeur de l’association Valdocco, chargé de mission
au Conseil général des Yvelines
40
L’un des fondements du projet éducatif du Valdocco repose sur
l’articulation entre l’école et la famille, l’école et le milieu environnant.
La principale difficulté des enfants, des adolescents de ces quartiers
stigmatisés, tient au fait qu’ils passent quotidiennement du temps
dans trois lieux : en famille, à l’école et dans la rue.
Or, le temps passé dans la rue est celui qui fait la différence entre un
jeune affilié et un jeune désaffilié. Pour le premier, la rue est un
espace de circulation, pour le deuxième, la rue est un espace de
stagnation.
Chacun de ces lieux est marqué par une culture. La culture familiale,
celle des origines. La culture républicaine, à l’école. La culture du
territoire, reposant sur un certain sens de l’honneur, sur des codes de
communication différents des normes habituelles.
41
Dans chacun de ces lieux, des adultes font référence : les parents,
en famille ; les enseignants, à l’école ; les aînés dans la rue. On sait
le poids et l’influence des aînés sur les plus jeunes.
Le drame pour ces jeunes, c’est que chacune de ces catégories
d’adultes, porteuses de repères, au mieux s’ignore, au pire se
discrédite. Les discours des parents jugés démissionnaires par les
enseignants, des jeunes de la rue accusant l’école de ne pas tenir
ses promesses, des parents reprochant aux enseignants d’être
incapables de faire la discipline, renvoient la faute sur l’autre.
Le fossé se creuse entre les zones d’éducation prioritaires et les
collèges de centres-villes ; la responsabilité en incombe, notamment,
à l’hypocrisie du système scolaire : la notation s’effectue plus en
fonction de la courbe de Gauss qu’en fonction d’un véritable
référentiel de compétence acquise.
“ ... Bon nombre de
jeunes pourraient
être premiers de la
classe mais
craignent d’être
traités de fayots, ou
de traîtres par
leurs copains...”
Valdocco s’appuie sur une même équipe éducative, plurielle dans sa
composition, constituée de professionnels et de bénévoles,
d’éducateurs spécialisés, d’animateurs, de médiateurs, d’enseignants,
qui vont à la rencontre des enfants dans ces trois pôles :
• le pôle rue : animation de rue pour toucher les plus jeunes ; travail
de rue, un travail d’accompagnement spécialisé, pour toucher les
plus grands ;
• le pôle école : le travail d’accompagnement éducatif et scolaire se
fait dans le cadre d’un projet de comité local d’accompagnement
scolaire et comporte des initiatives innovantes pour prévenir le
décrochage scolaire, tel le système de permis à points pour la
discipline où le Valdocco organise des stages de reconquête des
points. L’enfant et sa famille adhèrent au projet de reconquérir sa
place dans le collège ;
• le pôle famille : le travail autour des parents est important, écoute,
accompagnement, appui, groupes de paroles, médiation familiale. En
résumé, il s’agit de créer du lien entre tous les adultes qui cheminent
avec les enfants.
Rappelons que les enfants qui réussissent le mieux à l’école sont les
enfants d’enseignants. Non parce que les enseignants sont de
meilleurs parents, ou qu’ils ont moins de difficultés sociales ou
psychologiques que d’autres. Simplement, il y a une osmose entre la
culture familiale et la culture environnementale.
42
Cette osmose n’existe pas entre la culture scolaire et celle des cités.
Le langage n’est pas le même et ce n’est pas juste une question de
vocabulaire. Dans un collège de centre-ville, il est valorisant d’être le
premier de la classe, dangereux dans un collège de quartier sensible où
bon nombre de jeunes pourraient être premiers de la classe mais
craignent d’être traités de fayots ou de traîtres par leurs copains.
“ ... Le combat
contre la carte
scolaire est
essentiel
à mener...”
C’est le phénomène de la tribalisation de l’échec scolaire que décrit
Alain Bentolila : l’enfant revendique l’échec comme signe
d’appartenance à la tribu. Le meilleur enseignant n’y fera rien. Il est
important de comprendre que des adolescents sont capables de
sacrifier leur scolarité simplement pour exister au regard des autres.
Passée l’adolescence, certains aimeraient bien se réinvestir dans un
processus d’apprentissage, mais notre système ne le permet pas :
une fois le wagon quitté, c’est terminé.
Le combat contre la carte scolaire est essentiel à mener. Lorsqu’on
a scolarisé les enfants de paysans, on n’a pas créé de collèges en
plein champ, on a financé un système de bus qui permettait aux
enfants de paysans de grandir avec les enfants des villes et de bâtir
ensemble un avenir commun. Pourquoi faut-il scolariser les enfants
des tours en bas des tours ? L’éducation à la mobilité doit faire partie
de l’éducation. Il est important de réussir la mixité sociale car l’école
contribue, par ses dysfonctionnements, à la création de la
ghettoïsation dont elle se plaint tant.
Le discours sur la démission des parents me paraît facile et erroné.
Certes, elle peut exister dans des milieux très aisés, où l’on a
tendance à compenser l’absence par de l’argent, ou dans des
milieux défavorisés où on se rendra complice de recel : là,
effectivement, il y a démission. Mais dans la plupart des cas
rencontrés, il s’agit plus de désimplication.
En réalité, les parents ne savent pas ce qu’il faut faire, ils manquent
de crédibilité. Or, l’autorité se fonde sur la crédibilité. L’institution
scolaire a largement contribué à décrédibiliser les parents. A titre
d’exemple, dans les années 1970, la modification du vocabulaire
grammatical a empêché les parents d’aider leurs enfants, les
enseignants insistant bien pour que les parents “n’embrouillent” pas
les enfants en tentant de les aider.
43
Aujourd’hui, trente ans après cette réforme, ces mêmes professeurs
reprochent aux parents de ne pas suivre la scolarité de leurs enfants.
La restauration du dialogue entre la famille et l’école constitue le
grand enjeu. Il faut réimpliquer la famille. Il faut que l’école soit
capable de dire aux parents : “J’ai besoin de vous.”
“ ... Etablir
des passerelles
ne veut pas dire
confondre
les rôles...”
Autre enjeu de taille, comment venir à bout de cette violence scolaire
dont on parle tant ? En Thaïlande, par exemple, les parents, les voisins
sont dans les cours de récréation des grandes cités scolaires : ils
lisent, ils discutent. Ils sont là.
On sait que l’intragénérationnel est beaucoup plus violent que
l’intergénérationnel : il n’y a rien de plus violent que des mineurs
entre eux. Il n’existe rien de mieux pour faire diminuer la violence,
que de créer les conditions d’un intragénérationnel. Là encore :
“Parents nous avons besoin de vous !”
Enfin, la société manque de lieux de médiation. Notre expérience, au
Valdocco, montre que réunir les parents dans une association-tiers,
avec l’enseignant, crée les conditions d’un dialogue parce que parents
et enseignants se retrouvent dans un lieu neutre. Le lieu est important.
En centre-ville, l’enseignant habite le quartier où il enseigne, mais on
ne peut pas lui demander d’habiter dans la cité où il enseigne en
zone d’éducation prioritaire. Ne devrait-il pas, cependant, connaître
personnellement les éducateurs, les assistants de services sociaux,
les juges pour enfants, le médecin, le CMPP, de manière à établir ces
passerelles qui lui donneraient les moyens de mieux comprendre ?
Etablir des passerelles ne veut pas dire confondre les rôles : il ne s’agit
pas de faire jouer aux enseignants le rôle d’assistantes sociales après
la classe, ni aux éducateurs de faire l’école après l’école, ou aux
policiers d’organiser des matches de foot tandis que les commerçants
s’organiseraient en milice. Il s’agit de créer les conditions d’un
meilleur partenariat entre parents, enseignants, acteurs adultes de la
cité qui cheminent auprès de l’enfant.
44
45
“
Un jour, on ne parlera
même plus de métis,
il n’y aura que des gens
différents et ce sera normal.
C’est un rêve.
”
Christian et Sylvie, 22 ans, attendent un bébé.
“Cité dans le texte”, journal Libération du 14 juin 2005,
photo : Samuel Bollendorff, témoignage retranscrit par Jacky Durand.
46
47
Deuxième table ronde
LES JEUNES
ET LA SANTÉ
2
INTERVENANTS
Edouard Zarifian
Professeur émérite de psychiatrie et de psychologie médicale à l’Université de Caen
Annick Deveau
Directrice adjointe du pôle social de la DRASS Ile-de-France
48
49
LES JEUNES ET LA SANTÉ
Formes actuelles de l’exclusion
et comportements pathogènes
a réflexion devait initialement porter, à propos des
formes actuelles de l’exclusion, sur les comportements
pathogènes – ceux qui peuvent déboucher sur une
pathologie – ou sur les comportements pathologiques
qui relèvent de la médecine. Je vais, en fait, concentrer
mon propos sur ce qui est vraiment médical.
Que recouvre le concept de jeune ? Ce terme ne comporte-t-il pas
en lui-même des germes d’exclusion ? Quels sont les critères qui le
définissent ? Une catégorie d’âge ? Seraient-ce les “teens” américains,
entre 13 et 19 ans ?
M
Edouard Zarifian
Professeur émérite de psychiatrie et de psychologie médicale à l’Université
de Caen
50
“... Que recouvre le
concept de jeune ?
Ce terme ne
comporte-t-il pas
en lui-même
des germes
d’exclusion ? ...”
Une mère célibataire de 13 ans – ce qui est fréquent en Angleterre et
en France – entre-t-elle dans cette définition ?
La question de l’âge ne peut suffire à catégoriser ce vocable. Le corps
médical ne dispose pas plus de critères infaillibles, médicaux,
somatiques ou psychologiques. Sociologiquement, peut-on dire que
l’on n’est plus jeune lorsque l’on est inséré économiquement et
financièrement autonome ?
En revanche, la période de l’adolescence est une période physiologique
et psychologique très difficile à vivre. Freud prétendait qu’il y avait
une amnésie de cette période-là et que les garçons pouvaient très
51
difficilement dater l’apparition des premiers poils pubiens, même si
c’est plus facile pour les filles qui vivent leur première menstruation.
Ce passage est difficile dans notre culture occidentale. D’autres
cultures permettent de le vivre plus facilement. En Afrique
occidentale, le jeune garçon va partir pour un voyage symbolique
dans la forêt. Lorsqu’il reviendra il sera un homme et reconnu
comme tel par le groupe. Des rites semblables existent pour les filles.
Dans notre culture ces rites ont disparu : le service militaire et le
passage de la culotte courte au pantalon, par exemple, marquaient des
changements.
“... Les conduites,
qui sont d’ordre
individuel,
opposées aux
comportements,
d’ordre collectif,
sont marquées par
la transgression...”
La question qui se pose à nous, les aidants, dans nos interactions
avec les populations en difficulté, est celle de notre situation
réciproque et de nos représentations. C’est à nous de tenir un
discours qui fasse sens pour celui auquel il s’adresse.
Venons-en à l’aspect médical de mon intervention. La dissociation
entre maturité physiologique et psychologique devient de plus en
plus importante. Une puberté précoce, une croissance qui arrive à sa
maturité d’adulte beaucoup plus vite, des caractéristiques d’adulte
très vite développées sont fréquentes.
Tout cela contraste avec une maturité affective souvent dérisoire et
fragile, dont il faut tenir compte. Les conséquences pathogènes ou
pathologiques sont de natures diverses. Comment vivre son
adolescence et ce passage du monde de l’enfance à celui d’adulte ?
L’absence de cadre familial structurant conduit à la substitution par
la rue. Comme il n’y a plus d’espace intime, on va directement dans
l’espace public où la “tribu” vous récupère. Dans ce microcosme, les
liens d’appartenance, de ressemblance sont forts. Il est plus tentant
de se retrouver entre semblables que d’écouter des discours
d’adultes auxquels on ne croit pas.
Les conduites, qui sont d’ordre individuel, opposées aux
comportements, d’ordre collectif, sont marquées par la
transgression. Pour éprouver son identité, pour être reconnu par
l’autre, ces conduites peuvent aller jusqu’à la transgression de la loi,
des interdits, des risques, comme ces jeux avec la mort. A cet âge
on ne croît pas à la mort, on joue avec elle, grâce à la violence, la
vitesse ou la drogue.
52
“... Il faut ménager
des lieux et
des situations
où l’échange
de paroles devient
possible...”
Cette classe d’âge est marquée par des conduites qui concernent le
corps. Corps que l’on est en train de découvrir et dont les
manifestations font peur. Il faut vivre avec ce corps d’adulte et ses
exigences, alors que, psychologiquement on n’est pas un adulte. Les
comportements d’anorexie, de boulimie expriment ce mal-être aux
conséquences parfois mortelles.
Le piercing, le tatouage, les scarifications profondes sont autant
d’exemples d’atteinte à l’intégrité de son propre corps, comme pour
dire : “Il m’appartient, j’en fais ce que je veux, je joue avec et je peux
même le mutiler.” Les tentatives de suicide s’apparentent à cette
démarche.
Je conclurai sur la prévention. Empruntons aux autres ce qui
fonctionne. En Afrique les “cases à palabre” sont utilisées pour régler
les conflits et empêcher la violence. Chez nous, il s’agit des groupes
de paroles. C’est un espace, sans position de pouvoir, où l’on peut
créer une alliance avec l’autre, sans lui dire ce qui est bon pour lui
mais en l’amenant à réfléchir à ce qui est le mieux ou le moins
mauvais pour lui. Il faut ménager des lieux et des situations où
l’échange de paroles devient possible.
Pour terminer, je ferai référence à Tocqueville qui dans La
République, explique que la République n’est crédible que lorsque
ceux qui édictent les lois les respectent à la lettre. Aujourd’hui, dans
le domaine de la santé – comme dans d’autres domaines – ceux qui
sont chargés d’énoncer la loi sont souvent les premiers à la
transgresser.
J’illustrerai ce propos par une expérience. J’ai pu voir de l’intérieur le
fonctionnement de la Légion étrangère et j’ai constaté, à cette
occasion, comment à partir d’un groupe totalement hétérogène
(langue, origine, nationalité, religion), on a réussi à constituer un
groupe humain totalement homogène. Ceux qui édictent la Loi sont
les premiers à la respecter et de ce fait leur crédibilité est totale.
Notre société ne respecte pas les jeunes . Dans la vie publique, ceux
qui incarnent la loi ignorent le respect et tutoient d’emblée lors des
contrôles d’identité.
Je suis convaincu qu’être crédible dans les propos tenus à l’égard
des jeunes par l’exemple que l’on propose et avoir une attitude
respectueuse sont des clés pour limiter les risques de voir une frange
de la population se couper du reste de la société.
53
LES JEUNES ET LA SANTÉ
La santé des jeunes exclus,
d’une région à l’autre
ne personne sur cinq, de la métropole, vit en Ile-deFrance. Tous les indicateurs montrent que les inégalités y
sont importantes. Un ménage francilien sur huit vit en
situation de précarité économique. La population
francilienne compte 18 % de RMIstes dont 50 % vivent à
Paris. Il y a 11 % de personnes de nationalité étrangère en Ile-deFrance et, en Seine-St-Denis, le quart des habitants correspond à un
ménage étranger.
U
“... En Ile-de-France,
les jeunes
en situation
d’exclusion vont
encore plus loin
dans la prise
de risques...”
Annick
Deveau
Directrice adjointe du pôle social de la DRASS Ile-de-France
54
Les travaux épidémiologiques ont pu montrer que, globalement, la
santé des jeunes est considérée comme bonne : 95 % des jeunes
sont en bonne santé. Ce sont les comportements à risques qui
caractérisent les jeunes : le tabac, le cannabis, la découverte de la
sexualité y compris le rapport forcé – en Ile-de-France, 4 % des
jeunes de 15 à 19 ans déclarent avoir fait l’objet d’un rapport sexuel
forcé – et enfin le suicide. Les filles ont des comportements qui se
rapprochent de ceux des garçons, c’est ce qui caractérise cette
région par rapport à la province. Les jeunes en situation d’exclusion
vont encore plus loin dans la prise de risques.
Pour le tabac, si quatre jeunes sur dix fument en Ile-de-France, cette
proportion passe à sept sur dix entre 14 et 19 ans lorsque ces jeunes
sont suivis par la Protection judiciaire de la jeunesse. La
consommation de toxiques ne sera pas uniquement la
consommation irrégulière de cannabis mais également de crack
dans les squats. L’ecstasy n’est plus uniquement lié au problème de
la soirée brève, il est devenu une consommation régulière. Les
injections dans les squats ne se font pas dans les mêmes conditions
que dans les quartiers favorisés et le risque d’infections chroniques
55
comme l’hépatite B ou l’hépatite C est, alors, considérablement
augmenté. Mais les enquêtes épidémiologiques nous apportent
peu d’informations sur les événements qui, parfois très
précocement dans l’enfance, vont conduire, voire accélérer, les
processus de marginalisation des jeunes.
“... Les sociologues
doivent travailler
avec les médecins,
les médecins
avec l’Education
nationale...”
Comment faire pour que les programmes de santé publique,
visant l’ensemble de la population, touchent les personnes en
situation d’exclusion ? Comment avec leurs mots, la prise en
compte de leurs aspirations, la compréhension de leur mode de
vie permettre aux jeunes en situation d’exclusion d’accéder à ces
programmes de santé ? Comment trouver les réponses
particulières aux problèmes de santé spécifiques de cette
population ?
Le programme régional pour l’accès à la prévention et aux soins
(PRAPS) permet, grâce à un financement de l’Etat, de
l’Assurance maladie et du FASILD, de soutenir plus de trois cents
actions chaque année.
La grande majorité des projets proposés, en réponse à un appel
à projets, émanent d’associations. Les critères de sélection
privilégient les actions au plus proche du terrain qui associent les
usagers dans et autour du projet. Ce qui importe également c’est
la cohérence de l’action : montrer que la santé doit être comprise
dans une prise en compte globale du projet individuel. On ne
peut la dissocier de l’endroit où la personne vit, de la façon dont
l’école et le tissu social interviennent. Aussi, des liens doivent être
tissés entre les différents acteurs.
Ces projets ont permis le développement de lieux d’écoute, de
médiation sociale, de médiation en santé, d’ateliers santé-ville,
de consultations humanitaires. Ils ont permis également de
développer l’information et la formation des professionnels
émanant de champs et de discipline différents. Les sociologues
doivent travailler avec les médecins, les médecins avec
l’Education nationale. C’est grâce à ces échanges que nous
pourrons améliorer les problèmes de santé des jeunes en général
et des jeunes exclus, en particulier.
56
57
LES JEUNES
ET LES DISCRIMINATIONS
Intervention
Louis Schweitzer
Président de la Haute Autorité pour la Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité
58
59
a Haute Autorité date d’une loi de décembre 2004, ses
membres ont été nommés en mars 2005. Son objet est de
lutter contre toutes les discriminations et pour l’égalité. Il
existe dix-sept motifs de discriminations que la loi réprime :
discriminations en fonction du sexe, de l’âge, des opinions,
d’un handicap, de l’apparence physique, de l’origine, de la nationalité,
de l’ethnie, de l’origine réelle ou supposée…
La loi est bien faite, elle punit toutes les discriminations qui ne sont
pas fondées sur le mérite, le travail et l’effort. La réalité n’est pas du
tout celle-là. Il y a un peu moins de vingt affaires de discriminations
par an qui sont jugées au pénal. C’est comme si on donnait vingt
contraventions par an sur la route. Imaginez l’état de la sécurité
routière !
L’objectif de la Haute Autorité est de changer la pratique, de faire en
sorte que les discriminations, interdites par les lois de la République,
n’aient effectivement plus lieu. Nous disposons pour cela d’un
budget, de moyens humains et de moyens juridiques.
entreprise tous les emplois d’un certain niveau sont ouverts aux gens
de toutes origines et qu’au-dessus de ce niveau, vous ne trouvez
que des gens d’une même origine, vous disposez des éléments qui
permettent de présumer la discrimination.
L
“... Il existe
dix-sept motifs
de discriminations
que la loi
réprime...”
• La première des choses que nous faisons, c’est recevoir des
réclamations. Un numéro de téléphone simple, le 08 1000 5000,
permet de se renseigner. Une lettre adressée au 11, rue SaintGeorges, 75009 Paris, suffit pour saisir la Haute Autorité qui dispose
d’un service juridique, fera une enquête et pourra saisir la justice pour
sanctionner, obtenir réparation et choisir la meilleure voie juridique.
Pour la victime, ce choix n’est pas toujours facile pour obtenir
réparation. Nous pouvons également faire de la médiation,
rapprocher la victime de discrimination de l’auteur, pour que la
discrimination cesse.
• Le second métier de la Haute Autorité est de débusquer les
discriminations. Comment prouver que la personne de 50 ans qui
n’a pas été retenue pour un emploi a été victime de son “âge”. Il
existe deux méthodes de “débusquage”.
La première, le testing : on envoie dans une boîte de nuit, par
exemple, deux personnes habillées pareillement, du même âge, mais
d’aspect physique différent ; vous envoyez deux CV comparables,
l’un signé Patrick Dupont, l’autre signé Mouloud Mansour, vous
voyez s’ils sont traités de la même manière.
La statistique est l’autre méthode : si vous constatez que dans une
60
“... Ce qui est
essentiel, c’est de
ne pas apprendre
la résignation...”
• Troisième métier de la Haute Autorité : lutter pour l’égalité. Elle
peut proposer des avis, définir et soutenir des bonnes pratiques.
Quelles sont-elles ? Faire des CV anonymes pour que l’employeur
ne connaisse pas l’origine du candidat ? Cela va-t-il aider ou
simplement déplacer le problème. Notre objectif, à ce stade, est de
définir, de proposer et de diffuser les bonnes pratiques.
Le rôle de la Haute Autorité vis-à-vis des jeunes
Un premier constat s’impose : la génération qui arrive, aujourd’hui, à
l’âge adulte a une vie beaucoup plus difficile que la nôtre.
Le chômage que nous ne connaissions pas et son cortège de
discriminations à l’emploi. Les enfants d’immigrés qui vivent dans les
cités, les femmes qui ne sont pas traitées de la même façon que les
hommes par des entreprises encore trop nombreuses.
Il faut lutter contre les barrières qui se ferment, contre les préjugés.
Donner à tous les mêmes chances, les mêmes atouts, en matière de
formation. Les initiatives, comme celles prises par Sciences-Po ou
l’Essec, sont trop peu nombreuses. Autres facteurs discriminants
qu’il faut supprimer : les codes sociaux, l’habillement, le langage,
l’écrit.
Pour conclure, je dirai que le pire est la résignation : beaucoup de
jeunes sous-estiment leur potentiel. La Fondation Georges Besse,
que je préside, aide les jeunes par des bourses d’études ; j’ai
constaté que beaucoup de ces jeunes auraient la capacité à aspirer
aux plus grandes écoles, ils s’orientent vers l’ambition la plus limitée.
Ils intègrent, dès le départ, l’idée qu’ils n’auront pas les mêmes
chances de faire des carrières brillantes. Ils n’ont plus de révolte, ils
renoncent à courir leur chance, ils n’ont plus d’espoir.
Ce qui est essentiel, c’est de ne pas apprendre la résignation. Notre
ambition est de faire que l’égalité des chances concerne tout le monde,
de la même façon, pas seulement un petit groupe de privilégiés.
61
“
La plupart des jeunes ici
ne croient pas en leurs rêves.
Parce qu’ici, il y en a très peu
qui s’en sortent bien socialement.
”
Yan, 27 ans, enseigne le Jiu-Jitsu brésilien au sein de Vivacité,
une association sportive de Grigny.
“Cité dans le texte”, journal Libération du 10 mai 2005,
photo : Samuel Bollendorff, témoignage retranscrit par Jacky Durand.
62
63
Troisième table ronde
LES JEUNES
ET LA DISCRIMINATION
3
INTERVENANTS
Alain Tourdjman,
Directeur des études à la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne
Martin Hirsch
Président d’Emmaüs
Samira Cadasse
Vice-présidente de “Ni putes, ni soumises”
et Valérie Toranian
Directrice de la rédaction du magazine Elle et directrice générale de la Fondation Elle
Yveline Patault
Adjointe au maire de Valenciennes et présidente fondatrice d’AGEVAL
64
65
LES JEUNES ET LES DISCRIMINATIONS
Les jeunes et l’argent : présentation
des résultats de l’Observatoire
Caisse d’Epargne 2005
’Observatoire s’appuie sur plusieurs types de travaux :
• une étude qualitative réalisée, en septembre 2004, auprès
de 60 jeunes de 18-30 ans sous la forme de réunions de
groupes et d’entretiens individuels ;
• une enquête quantitative menée, en novembre 2004, auprès
de 2 000 jeunes de 18 à 30 ans ;
• une enquête complémentaire a concerné 500 parents de 18-30 ans ;
• une compilation et une exploitation des statistiques disponibles sur
cette tranche d’âge auprès de l’INSEE, des ministères…, tant au niveau
national que départemental.
L
18-30 ans, l’âge des passages
“... Entre 18
et 25 ans,
75 % des jeunes
disent se sentir
«plutôt» ou
«tout à fait»
adultes...”
Alain Tourdjman
Directeur des études à la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne
66
C’est entre 18 et 30 ans que s’opère une succession de changements
majeurs : fin des études, départ du foyer familial, accès à l’emploi,
installation en couple, arrivée du premier enfant. Avant 18 ans, les
modifications de situations restent très minoritaires. A l’inverse, dès 1822 ans, les changements s’enchaînent rapidement et 75 % des jeunes de
cette tranche d’âge disent se sentir “plutôt” ou “tout à fait” adultes.
30 ans représente pour les jeunes un cap où “l’on est installé”.
Ces changements s’opèrent globalement en quatre temps :
• 18-20 ans, l’âge des apprentissages : formation initiale, mais aussi
apprentissage au monde du travail via les “petits boulots” et à la gestion
d’un argent gagné ;
• 21-23 ans, l’âge des bifurcations : nouvelles orientations mais aussi
généralisation de la décohabitation, de la relation de couple, de l’emploi
et confrontation à la précarité de l’emploi ;
67
• 24-26 ans, l’âge de la stabilisation dans l’emploi, le couple…
déménagement de l’ordre de 30 % dès 21-24 ans et jusqu’à 30 ans.
Cette mobilité s’effectuerait majoritairement à l’extérieur du département
d’origine.
• 27-30 ans, l’âge de l’ancrage. Avec la construction de la famille se
développe un souhait d’enracinement, notamment par l’accession à la
propriété.
Ce calendrier global recouvre de fortes disparités. Ainsi, les femmes ont
en moyenne deux à trois ans “d’avance” sur les hommes. Il fait
apparaître également un fort clivage géographique.
A 22 ans, la part des décohabitants est particulièrement élevée dans la
plupart des départements incluant un pôle universitaire régional. A
l’inverse, dans les départements ruraux et ouvriers où la proportion de
ceux qui ont un emploi – et donc en théorie une certaine autonomie
financière – est élevée, la part des décohabitants est plus faible. La
décohabitation précoce est d’abord liée aux études, en revanche, la
décohabitation est paradoxalement plus tardive là où l’accès à l’emploi
intervient tôt. L’Ile-de-France fait exception. Le prix élevé
des loyers dans la région et l’abondance des moyens de
transports limitent la décohabitation estudiantine.
On observe deux grands types de calendriers :
• un cycle long d’installation : le départ du foyer familial
est précoce et intervient avant la fin des études. En
revanche, du fait du prolongement de celles-ci,
l’installation en couple puis l’arrivée d’enfants et
l’accession à la propriété sont décalées dans le temps.
Ainsi, en Haute-Garonne, il s’écoule dix ans entre la
décohabitation et l’arrivée du premier enfant et
l’autonomie résidentielle précède l’autonomie
financière ;
• un cycle court d’installation : l’entrée dans la vie active est précoce,
mais la décohabitation intervient plus tardivement. Cependant, dès le
départ du giron familial, les phases d’installation – couple, enfants, achat
du logement – s’effectuent à terme relativement rapproché. Ce calendrier
est plus fréquent parmi les jeunes issus de familles ouvrières et
employées ou ceux ayant suivi des études courtes. La Seine-et-Marne,
où il ne se passe que quatre ans et demi entre décohabitation et arrivée
du premier enfant, illustre bien cette situation.
18-30 ans est par excellence l’âge de la mobilité résidentielle. Elle est de
loin la plus élevée de toutes les tranches d’âge avec un taux de
68
Fréquemment migrants, les jeunes expérimentent également une très
forte précarité. 40 % des jeunes interrogés disent vivre dans une situation
financière plutôt difficile, voire très difficile – 7,5% de ménages pauvres
chez les 18-29 ans. Ces difficultés financières sont plus fréquemment
mentionnées par les 21-23 ans, notamment parmi les jeunes femmes,
mais aussi par les étudiants poursuivant des études longues.
“... 40 % des jeunes
interrogés disent
vivre dans une
situation financière
plutôt difficile, voire
très difficile...”
La précarité économique se double d’une flexibilité de l’emploi que les
jeunes expérimentent très largement : 58 % des actifs ont connu au
moins une période de chômage et 40 % ont changé au moins trois fois
d’entreprise depuis le début de leur vie professionnelle, hors stages et
“petits boulots”.
Les jeunes s’adaptent à une société qu’ils perçoivent comme dure.
A leurs yeux, la réussite, de même que le travail, nécessitent “de se
battre”, “d’être déterminé”.
Si leur vision de l’avenir collectif est plutôt négative, ils affichent une
relative confiance dans leur propre capacité de rebond : 71 % se sentent
“suffisamment armés pour faire face aux incertitudes de la vie”. Cette
autonomie est parfois difficile à assumer. Une étude récente du ministère
de la Santé montrait une occurrence d’états dépressifs plus fréquente
chez les jeunes.
Mais leurs aspirations profondes sont en décalage avec une société
qu’ils perçoivent ou expérimentent comme froide et cynique. Leur forte
sensibilité à nombre de thèmes de société invalide l’idée d’un
individualisme forcené : racisme, parité hommes/femmes, libertés
individuelles, inégalités sociales. Ils placent la sincérité, la fidélité et la
solidarité aux premiers rangs de leurs valeurs humaines.
De même, si 73 % pensent que le travail est pour eux le meilleur moyen
de réussir dans la vie, seuls 22 % considèrent “l’épanouissement dans le
travail” comme une priorité dans leur vie et la mobilité dans l’emploi n’est
souhaitée que par 24 %.
La famille d’origine constitue une véritable “bulle protectrice” pour les
jeunes. Au-delà d’une cohabitation avec les parents, généralement bien
69
vécue, la solidarité familiale dans le sens ascendant, comme dans le
sens descendant, les protège et ils ont envie de la reproduire.
“... L’argent,
pour les jeunes,
s’il est
incontournable,
n’est pas
une finalité...”
Questionnés sur leurs principales priorités de vie, ils mettent au premier
plan le couple, puis les enfants, puis l’autonomie, la réussite sociale via
le travail vient après et l’argent est bon dernier. En revanche, les parents
imaginent des jeunes d’abord préoccupés par la réussite sociale puis
l’autonomie et sous-estiment grandement la sensibilité familiale de leurs
enfants.
Autre contrepoint à leur univers de flexibilité et de précarité, 90 % des
jeunes estiment qu’il est important d’être propriétaire de sa résidence
principale, 5 % des 21-23 ans le sont et cette proportion s’élève à 35 %
dès 27-30 ans. Malgré leur forte préoccupation pour le chômage, ils
privilégient une résidence individuelle loin des grandes agglomérations.
L’habitat des jeunes est cependant très variable selon les départements.
A un schéma d’accession très représenté dans l’Ouest s’oppose un fort
recours au locatif social dans certains départements à forte tradition
ouvrière. Cependant, certains départements font apparaître une bonne
complémentarité entre le locatif social et l’accession tandis que d’autres,
notamment dans le Sud, cumulent rareté de l’offre sociale et cherté de
l’accession.
Dernier item : le comportement financier
L’argent, pour eux, s’il est incontournable, n’est pas une finalité. L’étude
a montré que les jeunes étaient en termes d’intentions plus épargnants
que les seniors. Cette volonté d’épargner est plus fréquente encore chez
les jeunes de catégories modestes. Ayant une représentation assez
négative de l’avenir collectif, l’épargne est pour eux un instrument
d’autonomie pour se projeter sur le long terme, qu’il s’agisse de l’achat
d’un logement ou de la préparation de la retraite.
A l’insouciance prêtée à la jeunesse, il convient sans doute de substituer,
pour cette génération, le sentiment d’un monde précaire et sans
promesse de lendemains meilleurs sinon en se donnant les moyens de
réussir, de se préparer à un avenir assurément menaçant et de vivre, en
privé, des valeurs humaines que la société récuse à leurs yeux.
70
71
LES JEUNES ET LES DISCRIMINATIONS
La nouvelle équation sociale
mmaüs est un mouvement qui s’est organisé autour des
années 1950 pour répondre aux situations criantes de
pauvreté qui ne concernaient pas spécifiquement les
jeunes mais plutôt des personnes de 40, 50 ans ou plus.
A l’époque lorsqu’on parlait d’exclusion on parlait de
pauvreté, on n’aurait pas évoqué la situation des jeunes. Il n’y avait
pas ce chômage massif les concernant, cette marginalisation
croissante. Au cours de ces dernières années la situation s’est
totalement renversée et les réponses que nous avions apportées
étaient inadaptées pour toute une frange des exclus.
E
“... Dans les années
1950, lorsque l’on
parlait d’exclusion
on parlait
de pauvreté...”
Martin Hirsch
Président d’Emmaüs
72
La “nouvelle exclusion sociale”, titre du rapport que j’ai remis au
gouvernement, n’avait, initialement, pas comme objectif de traiter la
question des jeunes adultes. Ce rapport avait été demandé par le
ministre de la Famille pour une conférence de la famille, pour tenter
de remédier à la pauvreté des enfants en France. Une étude récente
du CERC a montré qu’il y a un million d’enfants pauvres dans notre
pays – sur quatre millions de pauvres, ce qui n’émeut personne mais un million d’enfant pauvres, ça fait pleurer dans les chaumières.
On m’avait d’ailleurs demandé de participer à une émission de
télévision pour supprimer la pauvreté chez les enfants ! J’ai indiqué
que cela n’avait de sens que si l’objectif était de donner du travail
aux parents, d’améliorer les conditions de logement, de supprimer
les discriminations à l’école, pas de faire un “enfanthon” comme on
fait un “téléthon”. L’émission n’a jamais eu lieu, mais on m’a
demandé ce rapport auquel nous avons donné ce titre pour deux
raisons.
La première : effectivement, la pauvreté aujourd’hui n’est pas la
même que celle d’hier et nos politiques sociales qui ont très bien
73
fonctionné pour les personnes de plus de 60 ans, ne sont pas
adaptées à ces nouvelles formes de pauvreté. Les systèmes de
retraite, le travail des femmes, ont contribué à faire diminuer la
pauvreté des personnes âgées dans des proportions tout à fait
spectaculaires. Aujourd’hui, la pauvreté concerne les familles et les
jeunes et brouille les frontières. Le logement, le travail, les diplômes
ne sont plus des garants contre la pauvreté.
La deuxième raison à ce titre : nous essayons de trouver une nouvelle
réponse à cette situation nouvelle par une nouvelle équation entre les
revenus du travail et les revenus de la solidarité. Il n’est pas possible
d’avoir à choisir, lorsqu’on accède au travail, entre ce travail, qui
vous fera perdre l’argent, et les revenus de transfert. Il n’est pas normal
qu’une jeune mère, bénéficiaire de l’allocation de parent isolé, perde
de l’argent si elle trouve du travail. Nous essayons de mieux combiner
les revenus du travail et les revenus de la solidarité dans un système
bloqué entre les minima sociaux et les salaires minimum.
“... Le logement,
le travail,
les diplômes
ne sont plus
des garants contre
la pauvreté...”
Nous avions fait ce travail dans l’optique du rendez-vous annuel
d’une conférence de la famille. Autour de la table se trouvaient réunis
gouvernement, syndicats, associations familiales, associations de
lutte contre l’exclusion. Quand le rapport nous a été commandé, il
semblait évident aux commanditaires que nous allions nous focaliser
sur la question des familles monoparentales, des familles nombreuses,
etc. Une évidence est apparue à notre groupe de travail : nous
devions avoir une approche beaucoup plus générale – celle des
travailleurs pauvres, notamment – mais si nous devions choisir une
cible particulière, ce serait celle des jeunes adultes. Cible légitime
non prise en compte par les politiques sociales ni par les politiques
familiales. Le RMI n’existe pas en dessous de 25 ans et on sort du
dispositif de prise en charge familiale bien avant 25 ans. Or, cette
population est déjà la plus touchée par le chômage, par des
conditions de crédit qui l’entraînent inéluctablement vers le
surendettement. La crise du logement accroît, encore un peu plus, les
difficultés de ce démarrage dans la vie active. La société n’est pas en
phase avec sa jeunesse, cette situation appelle de nouvelles réponses.
Nous avons passé en revue les idées nostalgiques telles que le
rétablissement du service militaire, la remise en service des internats,
le réintroduction de la blouse à l’école, toutes choses qui avaient
fonctionné à l’époque où nous étions jeunes et où la situation était,
sans aucun doute, moins difficile. La réflexion et la lucidité nous ont
conduits à une approche qui consiste à y consacrer un peu plus de
notre temps plutôt que de ressusciter de vieilles lunes. Nous avons
proposé un service national civique et citoyen, l’idée d’utiliser ce
gisement de solidarité que représente la jeunesse, l’idée également
74
“... Notre système
de prestations
sociales devrait
être rendu
plus distributif...”
de “devoir” un temps à la collectivité. Jean-Baptiste de Foucauld
avait publié un rapport sur la non prise en compte de la population
des jeunes qui contenait des pistes intéressantes : le rapport au
travail, aux petits boulots et le commencement de la précarité.
L’accès au travail est particulièrement difficile, il se fait dans des
conditions qui tiennent plus de l’apprentissage de l’échec que de
l’apprentissage de l’intégration. Les systèmes de stages ou de CDD
qui se passent dans des conditions où le jeune donne entière
satisfaction et où néanmoins l’entreprise de l’embauche pas. L’idée
de base était bonne, leur mettre le pied à l’étrier, mais encore fallaitil assurer la suite du processus, que la solidarité vienne en
complément du travail à temps partiel, des emplois aidés, des
emplois d’insertion, au lieu, comme c’est le cas actuellement, de
venir en soustraction. Petit à petit, lorsque le jeune sera installé dans
son travail, la solidarité pourra diminuer, voire disparaître.
Autre axe de réflexion : sortir du carcan de ces dispositifs euxmêmes, excluant par définition ; on ne peut jamais remplir tous les
critères requis. Il faut imposer aux différents acteurs, ANPE, conseils
généraux ou municipaux une obligation de résultat ; qui peut être de
30, 40 ou 45 % de jeunes qui doivent pouvoir bénéficier des dispositifs
mis en place pour eux, sans que ces critères puissent leur être opposés.
Dernier axe de réflexion : comment entrer dans la vie active en étant
mieux armé ?
Encourager la poursuite des études et trouver les financements
d’allocations. Faire en sorte que la gratuité des études ne se
retourne pas contre ceux pour qui elle a été pensée. Les codes, dont
parlait Louis Schweitzer, avantagent ceux qui n’ont pas besoin de
cette gratuité et pénalisent ceux pour qui elle est indispensable.
Le départ dans la vie active doit pouvoir se faire sans avoir recours
au crédit et donc au surendettement.
Tout ceci coûte de l’argent et il en faut pour sortir de ce cercle
vicieux. Il peut s’agir d’un simple déplacement de quelques milliards
d’euros. Notre système de prestations sociales devrait être rendu
plus distributif. Les allocations familiales, par exemple, ont toujours été
considérées comme devant être les mêmes pour tous. Aujourd’hui,
elles représentent de l’argent de poche pour les riches, alors que, bien
que trop faibles, elles sont vitales pour certaines populations. Il suffirait
d’en limiter l’attribution à certaines populations, en les augmentant
pour d’autres.
Tout ceci est développé dans notre rapport dont tous s’accordent à
dire qu’ils l’ont trouvé intéressant ou remarquable mais dont personne,
pour l’instant, n’a décidé d’en tirer des axes de politique publique.
75
LES JEUNES ET LES DISCRIMINATIONS
Solidarité Mode
’opération “Solidarité Mode” a été lancée par la rédaction du
magazine en collaboration avec l’association “Ni putes, ni
soumises”.
Mais tout d’abord, un mot sur la Fondation d’entreprise Elle,
créée par le Groupe Hachette Filipacchi Médias. Cela fait
près de soixante ans que le journal vit à côté des femmes, avec elles
et par elles. A un moment donné, j’ai pensé qu’il fallait aller au bout
de notre cohérence et avoir, vis-à-vis de celles qui ne sont pas des
privilégiées, qui n’ont pas notre chance, la possibilité de les faire
bénéficier de structures éducatives.
Nous avons toujours défendu l’idée que l’autonomie des femmes,
leur émancipation, passait par l’éducation. De plus, il est difficile
pour une entreprise qui gagne de l’argent de ne pas réfléchir à son
rôle dans la société et à la façon dont elle peut redistribuer à ceux
qui en ont besoin.
La Fondation Elle venait de voir le jour et notre première opération
s’intitulait “Solidarité Mode”. Il s’agissait de financer les études de
mode de trois jeunes filles issues des quartiers défavorisés. Nous
avons trois lauréates dont le cursus de trois ans est financé par la
Fondation et la société Christian Dior.
Nous avons pris en charge les études, c’est à dire 80 000 euros, et
nous souhaiterions renforcer nos partenariats car, dans de nombreux
cas, les jeunes filles doivent se déplacer et se loger là où les écoles
se trouvent, ce qui augmente le coût.
L
“... L’éducation
puis la formation
sont les seules
façons de lutter
contre les
discriminations
existantes...”
Samira Cadasse
Vice-présidente de “Ni putes, ni soumises”
Valérie Toranian Elle
Directrice de la rédaction du magazine
Fondation Elle
et directrice générale de la
Samira Cadasse
> Notre intervention dans le projet remonte à décembre 2003, et le
lancement de l’opération à mi-avril 2004. Nous avons rédigé l’appel
et les procédures de participation. Il faut avoir présent à l’esprit qu’il
est difficile de toucher les jeunes filles de ces quartiers. Les outils de
communication manquent, le journal, Internet, SMS… même la poste ;
l’appel a donc été relayé par les comités locaux de “Ni putes, ni
soumises”, nous avons profité du “Tour de France républicain” de
mars 2004, avec quelques difficultés car Elle était considéré comme
un journal “strass et paillettes” dans lequel le social n’entrait pas.
77
76
Une fois le message passé, nous avons reçu les candidatures. Le
jury de professionnels a été composé de stylistes, de journalistes,
d’un membre de l’équipe et des représentants des écoles.
La première étape consistait pour les filles dans la réalisation d’un
croquis, nous en avons reçu une cinquantaine, un premier jury en a
sélectionné la moitié et un deuxième jury a affiné la sélection.
Valérie Toranian
“... Les filles sont
plus touchées
par le chômage
que les garçons,
alors qu’elles
réussisent mieux
leurs études...”
> Nous avons été suivies par beaucoup de personnalités de la mode,
Christian Lacroix, Agnès B, Isabel Marant, Kenzo, Nathalie Rykiel.
Après l’épreuve du croquis, nous leur avons demandé de
“customiser” un jean, un tee-shirt et une jupe. Le résultat a été
présenté aux couturiers, aux stylistes et à la direction des écoles, qui
ont fait la sélection finale. Trois jeunes filles ont été sélectionnées que
nous suivons de près. Nous leur donnons confiance en elles-mêmes
et tentons de les responsabiliser. Ce sont des jeunes filles comme les
autres, elles ont réussi leur première année.
On voudrait maintenir ce concours, symboliquement c’est important,
mais on aimerait également avoir des projets en Afrique, en Amérique
du Sud, tout en continuant à nous préoccuper de ce qui se passe
chez nous.
Samira Cadasse
> Cette opération a permis de mettre le doigt sur les difficultés d’ordre
économique de ces jeunes des quartiers défavorisés. Si on peut la
péréniser elle permettra à ces jeunes filles et jeunes garçons d’être
mieux armés pour arriver sur le marché du travail.
Les filles sont plus touchées par le chômage que les garçons, alors
qu’elles réussisent mieux leurs études. La montée de l’intégrisme
religieux, l’oppression dont elles sont victimes, mariages forcés, viols
collectifs sont autant de phénomènes aggravants pour elles.
Peut-être arrivera-t-on à surmonter les discriminations liées au nom,
aux codes sociaux. L’éducation puis la formation sont les seules
façons de lutter contre les discriminations existantes.
Valérie Toranian
> Pour compléter et conclure, j’insisterai sur l’importance de la
mixité. Les petites filles sont les premières victimes du déficit
d’éducation. La promotion de l’égalité entre filles et garçons sont des
valeurs auxquelles je suis attachée, elles font partie du processus
démocratique, cela se fera à travers la mixité qu’il faut défendre.
78
79
LES JEUNES ET LES DISCRIMINATIONS
Les difficultés d’insertion économiques
et sociales des jeunes
GEVAL est une association d’insertion que j’ai fondée en
1995, à Valenciennes, dans un contexte bien particulier.
21 % de chômage avec des poches de 50 à 60 % dans
certains quartiers et les problèmes sociaux qui
accompagnent cette situation. Jean-Louis Borloo, le
maire, voulait confronter les idées nouvelles que nous avions les uns
et les autres à la réalité du terrain.
A
Yveline Patault
Adjointe au maire de Valenciennes, présidente fondatrice d’AGEVAL
80
“... Les familles
arrivent avec
des «valises»
de problèmes
familiaux,
sociaux, de santé,
d’addiction
ou encore de
logement...”
C’est ainsi que se sont créées toutes les associations d’insertion à
destination des RMIstes, des demandeurs d’emploi de longue durée,
des jeunes en difficulté, des travailleurs handicapés, parmi lesquelles
AGEVAL, devenue la première association d’insertion du Nord-Pasde-Calais. L’association fonctionne uniquement sur des financements
publics avec des possibilités de travailler en sous-traitance pour des
grandes entreprises, dans le cadre de la clause d’insertion des
marchés publics : tout récemment, elle vient de créer une entreprise
d’insertion qui va travailler sur le secteur marchand.
Le but de l’association est clair : l’intégration par l’économique, qui
a pris la forme de contrats aidés, contrats emploi solidarité, emplois
consolidés. Les personnes que nous accueillons nous sont adressées
par les centres communaux d’action sociale, l’ANPE et le bouche à
oreille. Elles arrivent avec des “valises” de problèmes, familiaux,
sociaux, de santé, d’addiction – drogue, alcool – , ou encore de
logement. Le corollaire de ces problèmes étant le manque
d’autonomie pour effectuer les démarches nécessaires à un début
81
d’insertion et un manque de mobilité, non seulement géographique
mais aussi psychologique. Notre rôle est, dans un premier temps, de
les aider à démêler l’écheveau des problèmes et de leur permettre de
reprendre pied petit à petit, avant même de parler de projet
professionnel. C’est la fameuse pyramide des besoins de Maslow.
On ne peut parler d’épanouissement professionnel avant d’avoir
réglé les problèmes qui mettent en péril la sécurité quotidienne.
“... 85% des
personnes
arrivent avec
un niveau
inférieur au CAP,
60 % en situation
d’illettrisme,
de nature
inégale, mais
majoritairement
dans l’incapacité
de rédiger un CV...”
Nous avons consacré un certain nombre de chantiers
spécifiquement aux jeunes. Nous avons développé un chantier
sport et santé avec des activités sportives proposées en dehors du
temps de travail. Ces activités permettent de travailler la
resocialisation, l’esprit d’équipe, la confiance en soi, le
dépassement. La prise en compte de sa propre santé,
l’apprentissage de l’hygiène, constituent un début de réinsertion.
Il s’est developpé dans l’environnement d’AGEVAL, une auto-école
sociale qui permet de financer des leçons que les jeunes n’auraient
pu se permettre de prendre et donc de lever le frein de la mobilité.
85 % des personnes arrivent avec un niveau inférieur au CAP, 60 %
sont en situation d’illettrisme, de nature inégale, mais
majoritairement incapables de rédiger un CV, ne disposant pas du
permis de conduire. L’association suit environ 350 personnes par an.
Les activités que propose l’association sont centrées autour des
métiers de l’environnement, l’amélioration du cadre de vie, l’entretien
des espaces verts, des berges des cours d’eau, la réhabilitation de
certains espaces naturels, la participation à des chantiers de fouille, etc.
Toutes les personnes accueillies bénéficient d’une formation qui
passe par un bilan, une évaluation et un diagnostic des
compétences. Les difficultés surgissent au moment où il faut faire
formuler un projet à la personne, qui déclenchera une formation
adaptée. La formation est souvent associée à l’échec scolaire que la
personne a préalablement connu, aussi, le plus souvent, nous
l’orientons vers des formations techniques qui lui permettent de se
remettre sur le marché de l’emploi. On essaye de leur redonner
confiance en elles-mêmes. Les personnes en situation d’exclusion
n’ont pas le même rapport au temps que nous. Elles ne sont plus
capables de se projeter dans l’avenir. Nous essayons par
conséquent de leur apprendre à imaginer le futur.
Les jeunes ne sont pas très différents si ce n’est le problème de la
violence, liée le plus souvent aux addictions. Ces jeunes sont le plus
souvent issus de familles en situation d’exclusion. Le manque de
repères familiaux pour ces enfants qui avaient du mal à se lever pour
aller à l’école, alors que les parents ne se levaient pas pour aller
travailler, les a privés de modèle. Le manque d’argent et l’absence de
RMI pour les jeunes les obligent à cohabiter avec leurs parents et la
promiscuité est lourde de conséquences. Il est plus difficile encore
pour un jeune de trouver un logement autonome tant qu’il ne peut
présenter des revenus et donc un emploi stables.
82
“... La confiance
passe par la
reconnaissance...”
Un autre projet a consité à planter des vignes à Valenciennes, c’est
un travail qui demande du temps, de la patience, ce qui a montré
aux jeunes le sens du mot projet et son inscription dans la durée.
Ce projet a montré que, même quand le contexte n’est pas, a priori,
porteur, le travail et la persévérance donnent des résultats inespérés.
Il n’y a pas de recette miracle pour une intégration réussie, il n’y a
pas non plus de solution de “masse”. Nous sommes plus dans une
recherche individuelle, au cas par cas, une réponse adaptée à
chaque individu que nous suivons. Il s’agit, en réalité, de valeurs.
Redonner confiance et dignité à ces personnes.
Avoir des ambitions à la hauteur de ses moyens, ne pas donner aux
gens des rêves qu’ils ne pourront pas réaliser. La confiance passe
par la reconnaissance ; c’est pourquoi, nombre de chantiers sont
exposés à la vue des habitants des quartiers, qui renvoient, très
souvent, une appréciation positive sur le travail de nos salariés.
Le respect : les marques de respect, le vouvoiement, le “monsieur”,
doivent être la règle pour que chacun prenne conscience que le
“RMiste” est un être humain à part entière.
En retour, on exige le respect des horaires, tout en gardant une certaine
souplesse, mais en leur faisant comprendre qu’ils s’intègrent dans
une équipe et que leurs éventuels retards ont des conséquences
sur le groupe, c’est aussi une façon de responsabiliser. Il s’agit, en
effet, non pas d’assister, de protéger, mais d’aider et de préparer au
retour au travail, à l’entreprise.
83
“Il faut, dans nos actions, passer du
prêt-à-porter au sur-mesure.”
Didier Tabuteau
Directeur général de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité
84
es témoignages et les échanges de cette journée ont
été riches, émouvants, touchants. Quelques brèves
remarques pour conclure nos travaux. Si la question
des jeunes adultes n’est pas nouvelle, elle paraît se
poser en termes nouveaux. Parce que cette génération
est inquiète et qu’elle rencontre des obstacles que les
précédentes n’avaient pas connus. Le doute dans l’avenir, le
pessimisme des jeunes, que révèle l’étude qui vous a été
présentée, méritent réflexion. Notre société doit plus que cela
aux jeunes.
La notion d’exclusion, de désaffiliation, est, on l’a vu, complexe.
Les cas de figure sont variés. L’exclusion n’est pas seulement
d’ordre financier. Elle peut aussi résulter du regard des autres,
du regard que subissent les personnes qui en sont victimes.
Il est donc nécessaire d’avoir une approche d’ensemble de la
chaîne des difficultés : santé, logement, choix individuels, crise
personnelle. Toutes ces questions s’enchaînent les unes aux
autres. Ce qui ne peut que nous conforter dans l’idée que le
parti pris de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité
d’aborder dans la même démarche les problématiques
sanitaires, médico-sociales et celles de l’exclusion sociale se
justifie.
Ce qui m’est également apparu, tout au long de cette journée,
c’est qu’il faut, dans nos actions, passer du “prêt-à-porter” au
“sur-mesure”. Les questions se posent de façon très
différente d’un groupe social à un autre, d’un quartier à un autre,
d’une situation d’exclusion à une autre. Nos réponses doivent
s’adapter à ces différences, à chaque cas individuel. Et dans le
même temps, et ce n’est pas simple, il faut savoir passer
d’expériences individuelles, ponctuelles, à des enseignements
plus généraux qui permettent de créer des repères, d’identifier
des références. La perte de références est l’une des difficultés
essentielles auxquelles sont confrontés les jeunes adultes.
C’est autour d’expérimentations, de projets menés en commun,
associations, fondations et autres acteurs de la vie sociale, que
nous pourrons faire émerger des actions utiles, visibles de tous,
permettant de trouver ces points de repère, ces lignes d’appui
qui font tant défaut. Un chantier considérable nous attend.
Merci à Peggy Olmi qui a animé ces débats avec son talent
habituel, merci à Samuel Bollendorff, qui nous a permis de
découvrir ses “clips”.
Rendez-vous pour les prochaines “Diagonales” en décembre 2005.
“L
85
”
Les Diagonales du 20 juin 2005 se sont déroulées à la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne,
77, boulevard Saint-Jacques, 75014 Paris.
Les actes II des «Diagonales» de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidarité
Tirage : 3 000 ex. • Edité par les Editions de l’épargne • Adresse de la Fondation : 9, avenue René Coty 75014 Paris
• Publication : directeur de la publication : Didier Tabuteau, directeur général de la Fondation • Coordination :
Marguerite Azcona, chef de la mission communication • Ensemble des interventions synthétisées avec l’accord
des partcipants : Mary Sills • Secrétariat de rédaction et contrôle : Catherine Icart, Mary Sills, Mai Lan Tran •
Mise en pages : Emmanuelle Valin • Crédits photos : William Parra • Diffusion : Caroline Brivady, assistante
communication, [email protected]. - Tél. : 01 58 40 31 40.
86